Service civique : une vraie bonne alternative en temps de crise ?

17 mars 2021

10min

Service civique : une vraie bonne alternative en temps de crise ?
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Moyen de combler une soif d’engagement pour certains, de renforcer leur CV pour d’autres ou même plus récemment, de temporiser pendant la crise, le moins que l’on puisse dire, c’est que le service civique a tout pour séduire, sur le papier. Depuis sa création en 2010, 450 000 jeunes de 16 à 26 ans ont effectué un service civique. Ils sont d’ailleurs chaque année plus nombreux, puisqu’on en dénombrait 100 000 pour la seule année 2019, soit 52% de plus qu’en 2016 ! Et la pandémie ne devrait qu’accentuer encore davantage ce succès car beaucoup d’étudiants se rabattent sur ce contrat pour compenser l’accès difficile à l’emploi et le manque de ressources financières. Mais aussi parce qu’à en croire l’enquête post-Service civique de 2019, 86% des jeunes sortent “satisfaits” de cette expérience et 94% la recommanderaient à leur entourage. Mais alors, qu’est-ce que le service civique ? Peut-il vraiment devenir la bonne alternative en temps de crise ? Ou bien a-t-il des limites et serait-il trop souvent du salariat déguisé ?

Mais qu’est-ce que le service civique ?

Le dispositif du service civique a été mis en place par Martin Hirsch, haut fonctionnaire français, en 2010 pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Son objectif : encourager les jeunes entre 16 et 25 ans (jusqu’à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap) à s’engager dans des missions citoyennes au service de l’intérêt général, rémunérées, pour une durée de 6 mois à un an, en France comme à l’étranger.

S’agissant d’un engagement “citoyen”, c’est sans surprise que seuls les organismes à but non lucratif peuvent prétendre à accueillir des services civiques. On peut donc rejoindre, dans le cadre du dispositif : des associations, des services de l’État (Préfecture, sous-préfecture, pompiers, etc.) des établissements publics (hôpitaux, écoles, etc.), des collectivités territoriales (communes, départements, etc. )… mais pas des entreprises privées ! Et puis, pour vous accueillir en bonne et due forme, ces organismes doivent être agréés par l’Agence du Service Civique et œuvrer dans un de ces neuf grands domaines : solidarité, environnement, sport, culture, éducation, santé, intervention d’urgence, mémoire et citoyenneté, et aide humanitaire. Quant aux missions proposées, elles sont aussi diverses que variées, cela peut aller de l’animation de groupes au sein de centres d’accueil culturels, à la mise en place de projets pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, ou encore à la sensibilisation des jeunes à la santé. Au total, on compte environ 10 500 organismes agréés. Autant dire que même si les entreprises privées sont exclues du dispositif, il y a quand même l’embarras du choix !

Si le terme “volontariat” est souvent utilisé pour parler du service civique, celui-ci n’est pourtant pas bénévole. Les volontaires en service civique sont indemnisés 580 euros nets par mois (107,58 € payés par la structure, et 473,04 € par l’État), soit un peu plus que le minimum légal pour un stage de plus de deux mois. Et, bon à savoir : les boursiers et les bénéficiaires du RSA touchent par ailleurs un bonus de 107,68 euros. Et puisqu’il n’est en aucun cas obligatoire, le service civique peut être réalisé à n’importe quel moment, pendant ses études ou même déjà diplômé, dans la limite de l’âge réglementaire. Et officiellement, nul besoin d’un diplôme ou de compétences spécifiques pour être volontaire : seuls comptent l’âge, la motivation et le savoir-être.

Que change le covid ?

Bien qu’il ne soit pas nouveau, le service civique est devenu, en ces temps de crise, une solution malgré lui, puisqu’il apparaît plus que jamais comme un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et de lutter contre la précarité. Afin de promouvoir ce dispositif, l’État a ouvert, en 2020, 100 000 places en service civique de plus par rapport aux années précédentes. Si bien qu’il y a actuellement 63 000 missions en cours, soit 10 000 de plus que l’année dernière à la même date.

Par ailleurs, pour permettre de mieux tenir le coup en cette période difficile, l’État a décidé d’élargir l’accès au bonus de 107,68 euros à tous les boursiers, alors que celui-ci était jusqu’à présent réservé aux boursiers aux échelons 5, 6 et 7. Autre aménagement notable, les horaires des services civiques ont été rendus plus flexibles, pour permettre aux étudiants de concilier leurs cours et leur mission d’intérêt général. Désormais, la durée d’une mission sera calculée en moyenne sur l’ensemble des mois de travail effectué, tandis qu’auparavant il était obligatoire d’accorder un minimum de 24h hebdomadaire à la réalisation de celle-ci, ce qui rendait difficile l’assiduité aux cours et aux examens en parallèle.

Pourquoi faire un service civique ?

Compléter son CV en y ajoutant de nouvelles compétences

Margaux a réalisé un service civique en 2017 chez Cap ou Pas Cap, une association parisienne qui encourage le plus grand nombre à rejoindre ou mettre en place des alternatives citoyennes, par des conférences, des ateliers, des formations ou des débats. Alors tout juste titulaire d’un diplôme d’École de Commerce, elle avait voulu « saisir la chance » de pouvoir faire un service civique avant ses 26 ans. « Pour moi, c’était un bonus, une opportunité à ne pas laisser passer », explique-t-elle. À la fin de son cursus en école de commerce, il manquait à Margaux à la fois une vraie expérience de terrain et un temps pour elle : « Je voulais prendre un moment pour réaliser mes objectifs personnels, pour faire quelque chose d’engageant et qui me coupait de ce que je connaissais déjà », se remémore-t-elle.

Et en effet, le service civique a apporté à Margaux des compétences et de l’expertise dans un milieu qu’elle ne connaissait pas du tout. Mais cela lui a aussi permis de sortir de la bulle dans laquelle elle se trouvait pendant ses études et découvrir une autre vision du travail « quand on sort d’une école de commerce, on est formatés à penser un peu tous de la même manière. Et là, j’ai appris à être humble, à cohabiter avec d’autres modes de pensée et à m’approprier d’autres logiques. »

Pour sortir gagnant•e de son service civique, Margaux conseille à ceux qui décident de se lancer de ne pas accorder trop d’importance au détail des missions : « Il faut voir au-delà des missions proposées dans les services civiques. Il faut chercher la compétence derrière l’action. De plus en plus, les entreprises cherchent à recruter des personnes qui veulent mettre du sens dans leurs actions, qui veulent s’engager. C’est d’ailleurs ce qu’il faudra mettre en avant après un service civique. »

Un tremplin vers l’emploi, (qui fait du bien en ce moment !)

Léa, quant à elle, n’avait pas vraiment prévu d’effectuer un jour un service civique, mais les circonstances l’y ont peu à peu dirigée. Diplômée en 2019 d’un master en management interculturel à l’ISIT, puis embauchée dans la foulée de son stage de fin d’études en CDD à l’Inalco (Institut national des langues et civilisation orientales, ndlr), elle décide de ne pas prolonger son contrat pour s’envoler quelques mois au Brésil avec une amie. Hélas, son voyage prend une autre tournure à cause du confinement quasi-mondial lié à la pandémie, elle est rapatriée et comprend, en voyant la situation s’éterniser, qu’elle n’a d’autres choix que de rechercher du travail.

À l’automne, Léa n’a toujours pas trouvé de poste similaire à celui qu’elle a quitté en début d’année. « Cela faisait trois ou quatre mois que je cherchais, sans résultat. Non seulement je n’avais pas réussi à décrocher de job, mais en plus, le nombre d’offres diminuait à mesure que la situation sanitaire s’envenimait. » C’est confinée chez ses parents à Reims qu’elle décide donc de se rapprocher du Secours populaire local, d’abord pour s’occuper bénévolement. Elle apprend finalement que la direction cherche un service civique pour remplacer un stagiaire en fin de mission et cela fait tilt pour la jeune femme. « C’était déjà un secteur qui m’attirait, et même si ce n’était pas tout à fait le type de postes que je visais dans ma recherche d’emploi, je me suis dit que je pourrais acquérir de nouvelles compétences et pourquoi pas, découvrir ce que je voulais vraiment faire ! », explique-t-elle.

Depuis maintenant quelques mois, Léa a pris goût à évoluer auprès de bénévoles et ne regrette en rien cette expérience, qu’elle situe à mi-chemin entre le stage et le premier emploi. « Ici, mon boulot consiste à coordonner des actions de solidarité internationales à distance avec le groupe de bénévoles “jeunes” du SPF. Ce qui est bien, c’est qu’on me donne de vraies responsabilités et qu’on me fait confiance. Je gère des dossiers importants, à l’international qui plus est, en totale autonomie. Mais je suis tout de même accompagnée ! J’ai la chance de bénéficier d’un double tutorat, c’est-à-dire que je peux compter sur deux personnes au sein du Secours populaire pour m’aider dans mon travail au quotidien, mais aussi dans mon projet professionnel et ma recherche d’un futur emploi. »

L’un des avantages du service civique est sans aucun doute l’accompagnement qu’il propose. Pour chaque organisme d’accueil, l’État met à disposition un “Guide du tuteur”, accessible sur le site Internet du service civique. Dans ce livret figurent des instructions et conseils pour permettre aux tuteurs d’aider la personne en service civique à réussir sa mission mais aussi pour lui apporter un soutien dans la construction de son projet professionnel. Ainsi, le service civique est donc vu comme un engagement, certes, mais aussi comme une étape importante dans le développement professionnel du volontaire.

Finalement, cette expérience aura été pour Léa un bon moyen de rebondir pendant la crise, lui permettant de découvrir un secteur qui avait du sens pour elle, et de nouveaux savoir-faire. « Je pense avoir pris la bonne décision. Je sais bien que les recruteurs peuvent voir d’un mauvais œil les trous sur le CV, je suis donc rassurée d’avoir réussi à combler le mien et maintenant, j’espère que cela me servira de tremplin vers un vrai emploi. Et même si j’ai l’impression que le service civique n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur, qu’on l’imagine un peu comme un stage lors duquel on est “l’assistant à tout faire” d’une asso, je pense au contraire que cela permet de grandir professionnellement et d’ajouter des cordes à son arc. »

Un bon moyen de trouver du sens et apprendre à se connaître

Caroline Delboy occupe le poste de Happy team Leader chez Makesense, une entreprise qui promeut l’entrepreneuriat social et l’engagement citoyen. Elle est responsable des équipes internes, et en particulier des services civiques. Si elle retient des volontaires qu’elle a vu passer leur soif d’apprentissage, elle souligne aussi la plus value qu’ils apportent à l’entreprise. « Chez nos services civiques, comme elle les appelle, on retrouve souvent l’envie d’apprendre, d’être sur le terrain, et de mettre du sens dans la mission. Ils sont enthousiastes de par leur jeune âge, et apportent un regard frais et neuf sur ce qu’on fait. Ils sont souvent force de proposition et ils viennent nous challenger. »

Selon elle, cette motivation et cet enthousiasme sont partagés par une génération en recherche de sens. « Un service civique, c’est un moment dans la vie pour comprendre ce que c’est que d’être un citoyen. C’est une façon de comprendre ce qu’on aime, ce qu’on aime moins, faire le tri et s’engager. »

Les limites du service civique : à quoi faut-il faire attention ?

Une faible rémunération

Mais le service civique est-il vraiment toujours rose ? S’il apparaît a priori comme un dispositif permettant d’apporter satisfaction à toutes les parties prenantes, dans la pratique, certaines limites sont tout de même à noter, surtout si on le considère comme une alternative à l’emploi ou aux stages en temps de Covid.

À commencer par la rémunération, seul bémol pour Léa, qui ne voit pas vraiment comment le service civique pourrait rivaliser avec un salaire de CDD ou de CDI. « Évidemment, si j’ai fait ce choix-là, c’est parce que j’ai la chance d’habiter chez mes parents en ce moment. Si j’avais un loyer d’appartement à payer, j’avoue que la rémunération n’aurait pas été suffisante…» Selon elle, malgré tout le positif qu’elle retient de l’expérience, le service civique est plus destiné à des étudiants souhaitant apprendre tout en poursuivant leurs cours qu’à des diplômés en recherche d’autonomie financière.

Un accompagnement pas toujours au rendez-vous

Autre point à surveiller de près avant de se lancer dans un service civique : l’accompagnement. Car si en théorie les organismes d’accueil disposent de toutes les ressources nécessaires pour vous encadrer et vous permettre de réussir votre expérience, en pratique rien ne vous certifie que ce sera effectivement le cas. Lorsque vous êtes en stage, votre établissement d’études doit s’assurer que les missions qui seront les vôtres seront pertinentes et que le cadre sera correct. Pour un service civique, cette tâche ne revient qu’à vous et à l’Agence du Service Civique, qui hélas ne peut contrôler qu’une petite partie des 100 000 missions qui ouvrent chaque année.

Du salariat déguisé ?

Dans certains cas, l’accompagnement n’est pas à la hauteur des attentes, et les missions ne sont pas aussi intéressantes ni formatrices que souhaité. Pire, certaines associations aux budgets recrutement limités maquilleraient leurs offres d’emploi en service civique. Ce qui, sur le plan des compétences acquises, peut satisfaire les jeunes volontaires, mais qui ne correspond pas du tout à la rémunération qui accompagne ce genre d’emploi, ni à la nature même du service civique tel qu’il a été pensé à sa création. En effet, selon l’article L120-1 du Code du service national, l’ouverture d’une place en service civique ne peut se faire que dès lors que l’action du volontaire engagé intervient en complément de l’action des salariés, sans s’y substituer, et en lui laissant une marge d’initiative. Par ailleurs, contrairement à ce que laissent entendre la plupart des témoignages, le service civique n’est pas censé s’inscrire dans l’organigramme hiérarchique d’une structure. Ce phénomène de salariat déguisé existait déjà avant la crise mais risque d’augmenter en même temps que le nombre de places en raison du difficile contexte économique.

Quoi qu’il en soit, le service civique a le vent en poupe ! On se souvient que lors du premier confinement, nombreux furent les étudiants et diplômés à s’engager bénévolement dans des associations pour venir en aide aux plus fragiles et aux plus souffrants. Un an plus tard, ce sont peut-être les mêmes qui, face aux conditions difficiles d’études pouvant être un brin décourageantes, ou aux difficultés à trouver un stage ou un emploi, se sont lancés dans le service civique. En tout cas, la hausse de la demande se fait clairement sentir. Dans un article du Monde paru en janvier dernier, Béatrice Angrand, directrice de l’Agence nationale du service civique, rappelait que depuis le début de la pandémie, les candidatures reçues pour des services civiques étaient trois fois supérieures aux années précédentes.

Que ce soit pour apprendre à mieux se connaître, à respecter ses propres valeurs, à emmagasiner de nouvelles compétences ou à parfaire son expérience en attendant que la crise passe, une chose est sûre : si vous optez pour le service civique, vous en sortirez grandi(e) ! S’engager pour la bonne cause tout en apprenant et en renforçant son CV, tel est le combo gagnant proposé par ce dispositif encore jeune, mais dont le succès - et la crise, indirectement - promet un fort développement dans les années à venir.

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