Non, la digitalisation n’a pas tué les métiers de la culture

24 janv. 2018

8min

Non, la digitalisation n’a pas tué les métiers de la culture
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La digitalisation, ou « numérisation » du secteur de la culture entraîne de nombreux changements, tant autour des usages que des modes de fonctionnement ; tant auprès des professionnels du milieu que du public. Mais le monde de la culture recrute encore beaucoup, et surtout dans les grandes villes, comme le suggère une étude de l’INSEE réalisée en avril dernier. Et si certains métiers ont disparu, d’autres sont apparus. État des lieux des secteurs du cinéma, de la musique et l’art. Pas de panique, amoureux de la culture, le digital veut encore de vous.

De la dématérialisation des biens culturels

À quoi servent les industries de disques alors qu’on peut tout écouter gratuitement en streaming ? Pourquoi visiter une galerie d’art quand on peut commander une œuvre depuis son canapé ? Aucun domaine de la culture n’échappe à la révolution numérique et la dématérialisation des biens culturels qu’elle a engendrée. La multiplication des supports et acteurs de diffusion de la culture conduit inévitablement à la création de nouveaux métiers, plus transversaux, plus collaboratifs et aussi plus innovants.

Des métiers plus transversaux

Travailler dans la culture aujourd’hui revient effectivement à exercer un métier hybride, à la croisée de différentes compétences. Dans le secteur du journalisme et de la communication par exemple, on voit émerger des métiers comme celui d’éditeur numérique, de data journaliste, de responsable de pixels (il s’agit de traiter des fichiers audio et vidéo afin de les diffuser dans des programmes TV ou cinéma) ou encore de trader média (c’est-à-dire acheter des espaces publicitaires en temps réel pour atteindre des audiences ciblées).

Ce sont les données et le travail sur les données qui ont transformé radicalement l’exercice des métiers du secteur de l’audiovisuel, de la communication et de la presse. Travailler dans le numérique revient aujourd’hui à travailler avec les données laissées sur le Net par les utilisateurs. La progressive transformation digitale des médias a bouleversé pendant un temps l’exercice du métier de journaliste. On croyait même à sa mort. Mais l’apparition de nouveaux métiers comme celui de rédacteur web, de community manager ou de chef de projet éditorial a modifié les règles du journalisme et a contribué à lui donner un nouvel essor et de nouveaux modèles économiques possibles.

L’industrie du cinéma se porte très bien, merci

Le milieu du cinéma et de l’audiovisuel n’échappe pas cette transformation numérique. Si vous aviez toujours rêvé de changer les pellicules des films dans des cinémas, il faut se rendre à l’évidence : vous n’êtes pas né au bon siècle. Aujourd’hui, vous seriez plutôt un data manager, une personne chargée de sauvegarder les données numériques des films. Et puisque désormais presque aucun film ne se fait sans effets spéciaux, le travail en post-production est énorme. On connaît bien la rumeur sur le temps de tournage des épisodes de _Game of Thrones_… Presque un an pour chaque épisode, selon les dires. Ça en fait du travail pour les techniciens en post-production numérique. Modélisateur 3D aussi, est un métier dans le cinéma qui n’existait pas il y a quelques années mais qui est de plus en plus recherché.

Le développement du cinéma d’animation et la fabrication de productions internationales en Ile-de-France a permis l’augmentation massive des embauches dans la région (voir encart chiffres clés). On pense néanmoins au film Moi, moche et méchant fabriqué au studio parisien Illumination Mac Guff, et qui est devenu le film le plus rentable de toute l’histoire du studio.

Le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) revendique, dans son rapport d’activité de 2016, la puissance et l’importance du cinéma et de l’audiovisuel français : « Notre secteur représente près de 1% du PIB français, soit plus que l’industrie pharmaceutique ou l’industrie automobile. » Le CNC explique comment, en 2016, la relocalisation des tâches créatives et de fabrication a permis la création d’une dizaine de studios d’animations à Lyon, Valence, Paris, ou Angoulême.

Les métiers du cinéma qui embauchent :

  • Data manager, ou Digital Imaging Technician (DIT) : à la convergence de l’informatique et des métiers de l’image, le DIT est la personne qui gère les flux numériques issus des caméras grands capteurs. C’est celle qui doit traiter les rushes au sein du laboratoire numérique, on lui confie les images d’un film depuis le tournage jusqu’à la diffusion.
  • Technicien en post-production numérique : les techniciens en post-production numérique gèrent un grand nombre de travaux une fois les images tournées. Il peut s’agir de faire de l’étalonnage numérique, de la conversion d’espace colorimétrique mais aussi de l’incrustation de sous-titres ou de génériques.
  • Modélisateur 3D : travaillant entre l’art et la technologie, le modélisateur 3D conçoit de A à Z des images grâce à des logiciels 2D et 3D.
  • Supervisor et concepteur d’effets spéciaux : le supervisor est la personne chargée de la conception et l’exécution des effets spéciaux qu’il supervise. Le concepteur quand à lui les réalise, il maîtrise la modélisation et la synthèse d’images 3D, le traitement numérique et le compositing.

Zoom sur la réalité virtuelle

Impossible d’aborder les métiers de demain dans l’audiovisuel sans aborder la réalité virtuelle. Les technologies immersives s’installent peu à peu de manière durable dans la création numérique. Le CNC a investi 3 M€ dans une soixantaine de projets artistiques à la croisée des chemins entre nouveaux médias, jeu vidéo, art contemporain, et spectacle vivant. Un domaine hybride émergent qui devrait représenter, tous secteurs confondus, plus de 80 milliards de dollars en 2025, selon une étude de Goldman Sachs Research.

L’industrie de la musique encore en mutation

La pratique musicale se démocratise, il est de plus en plus facile de créer depuis chez soi. Mais avec l’essor d’Internet et des plateformes gratuites de musique, il est aussi de plus en plus difficile pour les producteurs de se faire leur place dans cette jungle. L’artiste, en plus de créer, « se doit aussi nécessairement d’être marketeur, commercial et community manager », explicite un article de l’IRMA. Dès lors, on voit émerger de plus en plus de start-up spécialisées dans l’aide à la communication des artistes qui ont déjà commencé à travailler en auto-production. On peut citer par exemple Nüagency, ou encore Kizym.

Du côté de la vente de musique, si le marché du disque est en baisse depuis 15 ans, les revenus du streaming sont de plus en plus importants. Le numérique n’est donc pas qu’une force de « disruption » qui détruirait le secteur, il fait également naître de nouveaux usages pour lesquels les consommateurs sont prêts à payer.

Parce que de plus en plus, la musique se regarde plus qu’elle ne s’écoute. On peut aujourd’hui filmer et partager très facilement un concert en live. Les évolutions technologiques et les facilités de partage de vidéo ont induit des changements de pratique d’écoute et ont redonné à la vidéo une place centrale pour les contenus musicaux. Le web permet aussi de penser de nouveaux formats plus créatifs, « des objets audiovisuels hybrides », comme le souligne l’Irma. On pense notamment aux Boilers Room, projet initié en 2010, qui propose des DJ sets à audience réduite et les diffuse sur Internet, où les internautes peuvent commenter en direct. Plus récemment, le projet de la start-up Cercle, une plateforme de livestream qui propose des performances de DJ au milieu de la foule ou dans des lieux improbables. De manière plus institutionnelle, l’offre CultureBox de France Télévisions et Arte Concert proposent également la rediffusion gratuite de concerts sur Internet. Un secteur en mutation qui doit toujours se réinventer.

Les secteurs dans l’industrie musicale qui embauchent :

  • Aide à la production d’artistes indépendants : l’univers musical étant en constante évolution, il suffit d’être inventif et de trouver une bonne idée de start-up pour aider à la production d’artistes musicaux.
  • Captation de concerts : de nombreuses start-up (Rhythm and Town, Sourdoreille, Sombrero&Co, Oleo films…) proposent la captation vidéos de concerts.
  • Streaming en ligne : le marché numérique est la première source de revenus de la musique enregistrée. Deezer, Spotify, Apple Music, Google Play Music, Amazon Music… Les offres d’écoute gratuite de musique en streaming en ligne sont nombreuses… et les perspectives d’emploi sont florissantes.

L’industrie de l’art est plus collaborative qu’avant

Le marché de l’art est peut-être le domaine qui a été le plus longtemps épargné par la vague de numérisation qui touche tous les secteurs de la culture. Mais depuis quelques années, le développement de plateformes de vente d’oeuvres en ligne contribue à démocratiser le secteur, et notamment l’accès à l’art contemporain. Artsper par exemple, qui se définit comme « le leader européen de la vente en ligne d’art contemporain » veut inciter les jeunes générations à acheter des oeuvres d’art, en proposant des retours gratuits et sans frais de port. On pense également à Singulart, qui fait le même travail mais qui, en plus, accompagne les jeunes artistes dans la constitution de leur portfolio.

L’attrait pour les métiers d’art ne cesse de croître. L’école Boulle reçoit par exemple quelques 5 000 candidatures pour 50 places par promotion. Cécile Rochay, professeur d’arts appliqués expliquait déjà en 2010 comment elle anticipait « un avenir intéressant pour ceux qui sauront intégrer dans les savoir-faire de leur métier de base, de nouvelles technologies ou encore des techniques issues d’autres métiers d’art ».

De plus en 2016, selon le CRIJ de Toulouse, 70% des artisans d’art avaient moins de 44 ans. Un métier d’avenir donc, qui lui aussi se décloisonne puisqu’il ne suffit plus de maîtriser son art, mais il faut savoir également travailler avec d’autres artisans. L’émergence des fab labs (à lire : Les FabLabs, ces espaces dédiés aux makers) un peu partout en France permet des collaborations entre artistes et incite à « examiner toutes les possibilités », ou comme on le dit en anglais « think outside the box ». Les fab labs, ces lieux de fabrication numérique nés aux États-Unis, expriment une volonté de se réapproprier la fabrication, dans une société mondialisée où le design et la conception de produits s’inscrivent dans une logique de masse. Dans les fab labs, tout est bon à la réflexion et à la création, mais surtout à la collaboration.

Les métiers de l’art et de l’artisanat qui embauchent :

  • Galeriste en ligne : Le galeriste est l’intermédiaire entre les artistes et les acheteurs et collectionneurs. Il doit assurer la promotion des oeuvres qu’il vend. Le galeriste en ligne n’organise pas d’exposition, puisque tout se fait sur le Net. Un double challenge.
  • Webdesigner : Mi-graphiste, mi-informaticien, le web-designer est spécialisé dans la création des pages Web. Il s’occupe de tout l’aspect graphique d’un site Internet.
  • Manager de fab lab : C’est la personne qui s’occupe de gérer les différentes machines de prototypage qu’on trouve dans un fab lab. Elle s’occupe aussi d’aider le public, d’organiser des formations, et de nouer des partenariats.
  • L’UX designer (user experience) : Il conçoit et améliore les interfaces numériques en collaboration avec les graphistes, les développeurs et les chefs de produit et ce, en appliquant une démarche centrée sur l’utilisateur.

Les branches culturelles pèsent lourd dans l’ensemble des branches de l’économie française (voir encart chiffres) et les emplois dans la culture ne manquent pas, selon l’Insee. Si Paris et l’Ile-de-France occupent une place privilégiée en matière d’emploi dans les activités culturelles - notamment dans l’audiovisuel et le multimédia, les activités liées au patrimoine, l’édition écrite, les arts visuels et la publicité - l’architecture, l’enseignement culturel et le spectacle vivant irriguent davantage les autres territoires de métropole et d’outre-mer.

Alors, si vous voulez travailler dans la culture en 2018, il faut être polyvalent, ne pas hésiter à toucher à d’autres secteurs du métier et aimer collaborer avec des profils différents. Enfin, ne pas oublier que de nombreuses possibilités voient le jour et vont s’intensifier dans le milieu du droit numérique et de la propriété intellectuelle.

Quelques chiffres :

  • Selon le Minisère de l’Economie , les branches culturelles pèsent près de 2,2% dans l’ensemble des branches de l’économie française.
  • D’après une étude de l’INSEE réalisée en avril 2017, les emplois de la culture représentent 3% de ceux de l’ensemble de l’économie.
  • Le cinéma « représente près de 1% du PIB français, soit plus que l’industrie pharmaceutique ou l’industrie automobile » selon le rapport d’activité annuel du CNC en 2016.
  • Les embauches dans la production audiovisuelle et le cinéma de la région francilienne ont augmenté de 1% en 2015 et de 5% en 2016, selon l’étude annuelle de la Commission du film d’Ile-de-France.
  • D’après cette même étude, en 2015, le nombre de salariés en CDI a progressé de 9% en Ile-de-France et de 10% dans le reste du pays. Le nombre de travailleurs en CDD a lui augmenté de 21% en Ile-de-France et de 12% ailleurs.
  • La réalité virtuelle (VR) devrait représenter, tous secteurs confondus, plus de 80 milliards de dollars en 2025, selon une étude de Goldman Sachs Research.
  • Selon les chiffres du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), le marché numérique de la musique a connu une progression de 50,8 millions d’euros en 2007 à 182,6 millions en 2016, dont 143,6 millions d’euros pour le streaming.
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