Reconversion après l'armée : la complexe transition des militaires vers le civil

25 oct. 2018

5min

Reconversion après l'armée : la complexe transition des militaires vers le civil
auteur.e
Romain Mielcarek

Explorateur du monde militaire et des zones de guerres.

« Il est temps de basculer dans le civil. » La brigadier-chef Céline a passé près de 20 ans sous l’uniforme de l’armée de terre. Comme 21 000 de ses collègues cette année, elle attaque une nouvelle étape dans sa vie professionnelle : le retour à la vie civile. « La boucle est bouclée, raconte-t-elle à quelques semaines de ce changement d’univers. Cela fait quelques années que j’y réfléchissais. Je voulais partir tant que j’étais encore jeune. J’ai une grande fille de 17 ans à qui j’aimerais payer de bonnes études. »

Une institution consommatrice de jeunesse

Pour les militaires, les conditions de vie sont souvent rudes. Régulièrement mutés, déployés pendant de longs mois loin des leurs, parfois dans des zones de guerre, ils tiennent plus ou moins longtemps le rythme d’une vie exigeante : 11,7 ans pour les hommes et 11 ans pour les femmes selon les chiffres diffusés par le ministère des Armées. Dans certains cas, des frustrations en termes de progression ou de conditions de travail peuvent également peser dans la balance. C’est aussi ce qui a poussé le caporal-chef H. G. à mettre fin à sa carrière après cinq ans de service : « J’ai passé beaucoup de temps loin de mes amis et de ma famille. En tant que militaire du rang (_la catégorie de grades la plus basse dans la hiérarchie, ndlr), _je n’étais pas considéré par la hiérarchie, qui m’a mis des bâtons dans les roues. L’ascenseur social ne fonctionne pas. »

Chaque militaire vit et témoigne d’une expérience différente. Leur faciliter la transition vers la suite reste un enjeu majeur pour l’institution : s’ils sont trop nombreux à rester sur le carreau, cela risquerait de dissuader les plus jeunes de s’engager. Des perspectives rassurantes, y compris pour le retour à la vie civile, sont aussi des arguments de recrutement. Avec une moyenne d’âge de 33 ans, selon le ministère des Armées, l’institution militaire est consommatrice de jeunesse. Elle a besoin de recrues dans la fleur de l’âge capables d’endurer les tâches les plus difficiles. Une rusticité qu’il faut en permanence renouveler, à hauteur de 1% de l’effectif total chaque année.

Dans l’armée de terre, la plus touchée par les déperditions, plus d’une recrue sur quatre dénonce son contrat durant les six premiers mois.

C’est surtout dans les six premiers mois, lorsque les moins gradés font leurs classes, qu’il est difficile de fidéliser. Dans l’armée de terre, la plus touchée par les déperditions, plus d’une recrue sur quatre dénonce son contrat dans cette période, selon le rapport de 2017 du Haut comité d’évaluation de la condition militaire. À partir de 15 ans sous l’uniforme, au plus tôt, les moins gradés ayant eu les conditions de travail les plus difficiles peuvent prendre leur retraite. Cette pension reste cependant maigre et est presque toujours complétée par un nouvel emploi dans le civil. Selon le même document, ils ne sont que 40% à rester engagés suffisamment longtemps pour en bénéficier.

Sniper, comment ça se traduit sur un CV ?

En matière de reconversion, la principale difficulté concerne les combattants. Les militaires qui ont passé toute leur vie dans des unités de combat peinent parfois à traduire leurs compétences dans un langage civil. Tireur Minimi, sapeur de combat, pilote de char Leclerc… Autant d’expériences qui n’ont pas beaucoup de sens pour postuler à des emplois. Les candidats doivent en général apprendre à mettre des mots sur leurs compétences et à valoriser le cadre dans lequel ils ont travaillé toute leur vie, notamment en jouant sur le champ de ce que les militaires appellent un « savoir-être » : rigueur, détermination et fidélité.

Les militaires qui ont passé toute leur vie dans des unités de combat peinent parfois à traduire leurs compétences dans un langage civil.

Beaucoup peuvent aussi mettre en avant une expérience de l’encadrement et une capacité à prendre des responsabilités. Un tout jeune caporal, même sans BAC, devra au combat donner des ordres à ses deux coéquipiers pour répercuter ceux de son chef. Une habilité à décider et à coordonner dans des situations extrêmes qui peut intéresser certains recruteurs. Chez ces derniers, il y a aussi parfois une image positive du soldat discipliné et dévoué.

« Je me suis engagé dans l’infanterie, où j’ai été tireur d’élite, r_aconte le caporal-chef H. G., devenu expert en construction. _Je pense que mon C.V. est attrayant. Les recruteurs voient le côté engagé, rigoureux. Ils idéalisent un peu. J’étais face à des gens qui avaient un meilleur profil… Mais c’est moi qui ai été retenu. Pour moi, l’armée a été un tremplin, j’ai su en tirer les bonnes choses. »

Pour réussir la passerelle d’un monde à l’autre, H. G. a pu profiter d’une formation professionnelle. Selon les chiffres officiels, ils sont 4000 comme lui à bénéficier chaque année de ce type de dispositifs pour assurer la traduction de qualifications militaires dans le civil. Le ministère des Armées dispose même de ses propres centres de formation, qui reçoivent selon l’institution 700 stagiaires par an. En 2015, le ministère de la Défense déclare que la reconversion s’est faite majoritairement dans le secteur du transport et de la logistique (29%), des services à la personne, sécurité comprise (14%), de l’installation et de la maintenance (14%), du BTP (9%) et de l’industrie (9%).

Pour faciliter la reconversion, le ministère des Armées dispose d’une agence dédiée, baptisée Défense Mobilité.

Pour faciliter la reconversion, le ministère des Armées dispose d’une agence dédiée, baptisée Défense Mobilité. Celle-ci accompagne environ un départ sur deux, mais aussi 2000 conjoints de militaires chaque année, notamment pour ceux qui cherchent un emploi après la mutation d’une épouse ou d’un mari engagé. Des militaires en reconversion choisissent aussi parfois de s’appuyer sur le privé, en recourant à des cabinets comme Civimil… Lancé par un ancien sous-officier.

Fidéliser les profils rares

À l’inverse, pour certains, il sera relativement aisé de trouver une déclinaison civile de leur métier initial. C’est le cas de Thomas, sous-officier dans l’armée de l’air pendant 11 ans. Après avoir entretenu l’électronique d’avions de combat, il se recycle chez un industriel de l’armement. Le secteur est différent mais ses compétences et surtout, son expérience militaire, sont facilement valorisables. « J’ai été embauché à la première annonce postulée, se souvient Thomas. Je voulais travailler dans l’aéronautique civile mais mes formations militaires n’avaient aucune valeur dans le civil. Je me suis donc retourné vers des entreprises orientées “électronique” ou “système”. Généralement, elles sont intéressées par les anciens militaires et les salaires sont intéressants. »

Il y a même des domaines où l’institution militaire doit se battre pour fidéliser ses spécialistes. Les experts de la guerre informatique formés dans les services de renseignement sont particulièrement recherchés par l’industrie de défense. De même, les pilotes d’hélicoptères ou d’avions se voient proposer des conditions tellement favorables dans le privé que les armées doivent redoubler d’ingéniosité et leurs offrir des avantages pour éviter de les perdre trop tôt.

Les experts de la guerre informatique formés dans les services de renseignement sont particulièrement recherchés par l’industrie de défense.

Les armées ont pourtant une force : pour beaucoup des hommes et des femmes qui servent sous l’uniforme, l’ambiance qui y règne est d’une richesse unique. Il n’est pas rare de croiser d’anciens militaires, parfois âgés d’à peine une trentaine d’années, emprunts d’une forte mélancolie de leurs années sur les rangs. C’est d’ailleurs la seule inquiétude de la brigadier-chef Céline, à l’approche de sa nouvelle vie : « J’ai peut-être un peu peur de ne pas avoir d’ambiance au travail. L’armée, c’est moins conventionnel. Après ça, je suis lâchée dans la jungle. »

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Photo by WTTJ

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