Carottes et business plan : la success story de la Petite Epicerie

11 sept. 2018

7min

Carottes et business plan : la success story de la Petite Epicerie
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Flora et Hélène ont toutes les deux grandi à Paris et fait des études d’art à Londres. De la vidéo production, des dessins et des gravures, elles sont passées maîtres d’un nouvel art : celui de vendre des produits frais. Ensemble, elles ont ouvert en avril 2017 la Petite Épicerie, dans une jolie rue de Montreuil.

Ces deux amies sont allées toquer chez les producteurs de la France entière pour rapporter dans leur épicerie ce qu’il y a de meilleur. Résultat : des palettes entières de fruits et légumes cueillis la veille ou le matin-même débarquent quotidiennement devant leur porte. Aujourd’hui, elles ont 7 salariés et sont amies avec tout le quartier.

Vous vous connaissez depuis longtemps ?

Flora : On s’est connue il y a 15 ans, on se croisait à des soirées, j’étais une amie du frère d’Hélène. Mais on s’est vraiment rapproché à Londres, pendant nos études aux Beaux-Arts, à la Saint-Martins.

Qu’avez-vous fait après votre diplôme ?

Hélène : Je suis partie m’installer en Amérique du Sud où j’ai fait des formations de chef op’. Puis quand je suis rentrée en France, j’ai monté une boite de prod’, je faisais des films institutionnels principalement.

Flora : Je suis revenue à Paris par amour et parce que ma ville me manquait. J’ai pris un atelier à Pantin. Je faisais beaucoup de dessins, de la peinture, des gravures, mais je ne suis pas allée jusqu’au bout. Je me suis sentie lâchée dans le grand bain, dans la jungle de l’art contemporain.


Hélène et Flora - La Petite Epicerie

C’est à ce moment-là que vous avez décidé de monter un projet ensemble ?

Hélène : Oui, on se voyait beaucoup à cette époque car on attendait toutes les deux un enfant et je venais de lâcher ma boite de prod’. À l’époque, j’étais plutôt encore dans l’optique de développer mes propres projets vidéo mais un après-midi Flora m’a parlé de son projet de monter une épicerie.

Flora : Quand je suis tombée enceinte de ma fille, j’ai commencé à ressentir cette envie de monter un projet concret. Je ne rejetais pas l’art mais j’avais juste vraiment envie d’aller vers autre chose et je mûrissais l’idée de monter un projet dans l’alimentaire même si je ne savais pas encore quoi exactement.

« Quand je suis tombée enceinte de ma fille, j’ai commencé à ressentir cette envie de monter un projet concret. » - Flora

Un jour ma mère m’a raconté qu’un de mes amis d’enfance avait ouvert une épicerie géniale dans le 11e, le Zingam. J’y suis allée et je suis tombée amoureuse de la boutique.

Qu’avais-tu tant aimé au Zingam ?

Flora : C’est l’état d’esprit qui m’a beaucoup touché. Je retrouvais l’esprit des petits commerces de quartier où j’allais avec ma grand-mère quand j’étais petite en Bretagne, ceux qui vendent de beaux produits et qui prennent le soin de mettre les noms de producteurs sur les ardoises.

Hélène, qu’est-ce qui t’a convaincu de rejoindre Flora dans cette aventure ?

Hélène : Pour faire tourner ma boite de prod’, on faisait beaucoup de vidéos pour des clients qui n’étaient pas en accord avec mes valeurs personnelles. Ça me gênait de donner à ces sociétés ma force de travail, mon talent et mon énergie alors que c’était en désaccord avec la façon dont je voulais gérer ma vie. Quitte à bosser comme une folle, autant vendre des bons légumes, faire bosser des gens et le faire avec Flora !

« Quitte à bosser comme une folle, autant vendre des bons légumes, faire bosser des gens et le faire avec Flora ! » - Hélène

Six mois après en avoir discuté l’épicerie était ouverte. Pourquoi être allées aussi vite ?

Hélène : On s’était donné un an pour monter le projet mais le local à Montreuil était libre et ça a tout accéléré. Une fois qu’il était signé et payé, il fallait ouvrir !

Flora : On nous avait conseillé d’ouvrir même si on n’avait pas grand-chose. Car si on réfléchissait trop, on pouvait passer des années à écrire un business plan et ne jamais passer à l’action.

Comment s’est passée l’ouverture ?

Flora : Ça a été très sport au début. On n’avait pas les outils qu’on aurait dû avoir quand on a ouvert et peu de produits.

Hélène : Les six premiers mois étaient très intenses, on n’était que toutes les deux, c’était l’horreur. En plus, c’est un métier très physique. Une palette fait entre 200 et 800 kilos, et on a trois palettes qui arrivent par jour. Il faut les décharger, les charger dans la chambre froide, puis dans la salle. Et tu recommences tous les jours. On portait entre 1000 et 1500 kilos chacune par semaine. On était à 100 heures de travail par semaine.


Hélène et Flora - La Petite Epicerie

Flora : On s’est fait mal aux vertèbres, la douleur au dos nous réveillait le matin. Quand tu es à la coupe, tu as des meules de fromages qui font 70 kilos. Tu les tranches, tu les filmes. Même chose pour le jambon. Et à la caisse, il faut être une machine car il y a toujours du monde. On allait beaucoup chez l’ostéo et aujourd’hui, on offre des séances à notre équipe !

Comment avez-vous fait pour ne pas vous laisser déborder ?

Hélène : Sonny, du Zingam, nous a énormément aidées car on n’avait pas de logistique établie. On ne savait même pas comment faire une caisse ! Il a été un peu notre mentor. Avec lui, on a créé des outils et des documents qui nous ont aidées à répartir le travail, à le penser, le théoriser, à faire un planning pour faciliter la pratique.

Par quoi avez-vous commencé ?

Flora : On a commencé par une formation de deux jours au CCI sur l’hygiène où l’on a appris les bases. Ensuite, on a appris au fur et à mesure, on a improvisé !

Hélène : On a pris très au sérieux le sourcing. Pour trouver les meilleurs produits, c’est le bouche-à-oreilles qui marche, et on s’est beaucoup renseigné sur les fermes qui font de la vente directe, les répertoires de producteurs, les chefs, les marchés… Et depuis le début, on va toujours voir tous les producteurs que l’on vend, c’est très important.

Comment avez-vous fait financièrement ?

Flora : On avait 10 000 euros chacune de côté et pour le reste, notre famille nous a prêté de l’argent, on a fait des prêts à 0% à notre entourage. On a d’ailleurs presque fini de rembourser ! Heureusement, on était déjà en bilan positif au 8eme mois.

On est heureuse d’ailleurs de voir que notre stratégie a marché. Dès le début on voulait miser sur le volume plutôt que sur la marge. Les prix sont accessibles mais on travaille vraiment en flux tendu, on ne stocke rien.

« On avait 10 000 euros chacune de côté et pour le reste, on a fait des prêts à 0% à notre entourage. » - Flora

Comment a réagi votre entourage face à votre reconversion ?

Flora : Mon entourage m’a beaucoup soutenue même s’il avait peur pour ma vie personnelle. Nos mecs nous ont aussi beaucoup aidées, en faisant des tournées, de la manutention…

Hélène : Ils trouvaient notre projet super mais au bout de quelques mois ils n’en pouvaient plus ! Il faut dire qu’à l’époque mon fils avait 8 mois, la fille de Flora, un an et quelques mois. On n’avait pas de mode de garde, on allaitait encore… Mon mec a arrêté de bosser pour garder notre enfant. Il faisait aussi les tournées pour aller chercher les produits en France et donnait des coups de main au stock, tout comme mes deux sœurs…

Et par rapport à votre association ?

Flora : On nous a dit d’être méfiante l’une envers l’autre. Alors que plus on avance, plus on s’entend, même si ça nous est arrivé de nous engueuler. Mais dans la souffrance naît l’amour !

« On nous a dit d’être méfiante l’une envers l’autre. Alors que plus on avance, plus on s’entend… Dans la souffrance naît l’amour ! » - Flora

Qu’est-ce qui vous a fait tenir ?

Flora : Le fait qu’il y ait du succès très rapidement ça nous a beaucoup boosté ! Dès les premiers jours on était au-dessus de nos objectifs et tous les gens du quartier nous ont fait des retours positifs.

Hélène : Et puis, une fois que tu es lancé, tu es lancé ! Tu as des dettes, un engagement… Mais quand l’une avait des moments plus « down », l’autre la soutenait.

Comment vous répartissez-vous les tâches ?

Hélène : Au début on faisait un peu tout toutes les deux. Et ensuite ça s’est fait naturellement. J’avais plus d’expérience sur le terrain administratif et gestion car j’avais déjà monté une société, donc je m’occupe plus des factures, et Flora se concentre sur les commandes.

Comment vos expériences passées vous ont-elles aidées ?

Hélène : Quand j’étais en prod’ et que j’étais en tournage, je devais coordonner plein d’équipes différentes, c’était beaucoup de logistique. Là, c’est le même exercice, il y a ce côté chef d’entreprise, de gestionnaire. Il faut réussir à avoir une vision cohérente d’ensemble, et de comprendre les rouages.

Flora : Je mise beaucoup sur mon intuition, j’écoute ma créativité. Par exemple, il faut que tout soit très beau, impeccable, car le visuel est important. Il faut que les cagettes aient du volume, des couleurs. La composition se fait dans les détails. Pour ça, les Beaux-Arts m’ont beaucoup apporté.

Hélène et Flora - La Petite Epicerie

Quels conseils vous donnez à ceux qui veulent monter un projet tel que le vôtre ?

Flora : De faire attention au fond et à la forme. La qualité du produit est bien évidemment indispensable, mais la façon dont tu vas le présenter l’est tout autant. Comment vas-tu le vendre ? Comment vas-tu en parler ? Ici, on parle tout le temps, on a de la tchatche. Et notre équipe est obligée de goûter tous les produits, pour qu’elle puisse bien en parler.

C’est important aussi d’avoir un bon sens du business : pourquoi fabriquer des usines à gaz quand tu peux simplifier tes logistiques ? Il faut vraiment garder les choses simples et logiques même s’il y a des logistiques qui peuvent être complexes.

« La qualité du produit est bien évidemment indispensable, mais la façon dont tu vas le présenter l’est tout autant. » - Flora

De quoi êtes-vous fières ?

Flora : On est très proches de nos clients, qui disent qu’on ne ressemble pas aux commerçants “normaux”, peut-être parce qu’on n’a pas le même parcours. On adore faire un cadeau, faire plaisir aux gens et on est devenues amies avec beaucoup d’entre eux !

Hélène : Quand tu veux monter quelque chose tout le monde a peur et te dit de faire attention. On nous a dit qu’on n’aurait plus de vie. Alors qu’en fait, quand tu as de l’intention, tu trouves toutes les ressources dont tu as besoin pour t’organiser et t’épanouir.

« Quand tu as de l’intention, tu trouves toutes les ressources dont tu as besoin pour t’organiser et t’épanouir. » - Hélène

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