L’immersive learning, le futur de la formation ?

Jul 23, 2019

8 mins

L’immersive learning,  le futur de la formation ?
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Nora Léon

Communications & content manager

Black Mirror au bureau, c’est quand… Ta RH te propose de faire ta prochaine formation via un casque de réalité virtuelle, dans un environnement 100% numérique. Les yeux ronds, tu l’écoutes t’expliquer que grâce à l’IA, tu vas mieux et plus vite assimiler de nouveaux skills. Intox, blagounette ou carrément science-fiction ? Pas du tout : elle te propose de tester l’apprentissage immersif, ou encore appelé “immersive learning” chez nos voisins anglais, via le mécanisme de plus en plus reconnu du “serious game”…

Jamais entendu parler de cette modalité de formation relativement nouvelle dans le monde professionnel ? Envie de savoir de quoi il s’agit, comment cela s’applique au monde de l’emploi et d’en connaître les limites potentielles ? Cet article devrait éclairer ta lanterne.

En quoi consiste l’immersive learning ?

1. Définition

Selon William Peres, fondateur de Serious Factory, une entreprise qui édite des solutions pédagogiques innovantes de type simulations, l’immersive learning « permet de s’entraîner dans un environnement virtuel maîtrisé, avant de se confronter à la situation réelle. Grâce à sa solution logicielle Virtual Training Suite basée sur ce principe, Serious Factory transmet des savoirs utiles au bureau et développe des savoir-faire et savoir-être. »

Guillaume Ruzzu, le responsable marketing et Communication de l’entreprise, précise : « l’apprentissage immersif consiste à plonger l’apprenant au sein de sa formation dans un univers immersif virtuel où il pourra s’entraîner dans des situations réalistes. L’objectif est de le confronter à une réalité qu’il pourrait difficilement rencontrer en vrai (par exemple, des situations à risques dans l’armée, des pathologies rares dans le domaine médical…). L’enjeu est de le mettre face à des cas sur lesquels il apprendra, d’autant plus qu’il pourra faire des tests et des erreurs sans conséquences. »

Cette technique est axée sur l’idée qu’on apprend mieux par la pratique. Guillaume a bien insisté sur cela en arguant que « l’idée derrière l’immersive learning, c’est qu’il vaut mieux apprendre et mémoriser par l’expérience. Quand on le fait en complément de l’apprentissage magistral et théorique, on développe les bons automatismes et réflexes. Et surtout, on mémorise beaucoup mieux. Plusieurs études, notamment de Stanford ou de l’Université du Colorado, ont d’ailleurs prouvé que c’est beaucoup plus puissant en terme d’impact sur l’apprenant, de mémorisation et d’apprentissage sur le long-terme. »

Nous avons voulu en savoir plus sur ces recherches. Guillaume nous a aidé à en comprendre l’essence. L’Université de Stanford fait partie des pionniers dans les recherches liées aux techniques de Game Design et des neurosciences pour montrer leur impact au travers des jeux vidéo notamment dans l’éducation. On retrouve le fruit de leur travail sur ce site.

Par ailleurs, une étude conduite par l’Université du Colorado sur l’impact des simulations et des jeux en formation a montré que les apprenants ayant participé à une expérience de formation gamifiée obtenaient de meilleures performances que lors de formations traditionnelles. Ils ont en effet constaté une augmentation de 14% sur les compétences réelles évaluées, de 11% sur les connaissances acquises en formation et de 9% de rétention sur l’ensemble des contenus dispensés.

2. Contexte et application

L’immersive learning est en pleine prise de vitesse. Apparu vers 2010, il était à l’époque coûteux, car les objets numériques étaient rares. Il était à l’origine utilisé par l’armée américaine, pour faire s’entraîner les soldats dans des situations factices de danger extrême. L’objectif : les préparer en toute sécurité à ce qu’ils allaient vivre en situation réelle. D’où le nom donné à certaines formes d’apprentissage immersif, les serious games. Entre temps, la commercialisation massive de casques de réalité virtuelle, notamment par Samsung ou HTC, ainsi que le progrès des technologies, ont rendu les outils abordables et permis la floraison d’un marché tout neuf.

Quelle efficacité et quels usages au travail ?

À présent, cette méthode vient régulièrement en complément de formations théoriques en ligne ou en présentiel, car elle garantit de fixer durablement les apprentissages. Selon Guillaume, « en jouant, on apprend mieux. Avec des simulations, on a des meilleurs taux de mémorisation, car on est plus impliqués. Et cela s’adapte à tous les domaines. C’est par exemple très utile au sein de l’industrie, car on va recréer en 3D des environnements, des chantiers, et on peut sensibiliser les ouvriers aux bonnes pratiques. Apporter ces savoirs et savoir-être de manière ludique rend les employés beaucoup plus réceptifs. »

Justement, si le fait que ce soit ludique rend les employés plus réceptifs, quels sont les autres avantages de l’immersive learning et comment les mettre à profit dans son job ?

1. Des avantages éducatifs

L’apprentissage immersif est pensé en complément d’autres formes éducatives. Chez Serious Factory, l’équipe l’intègre à des programmes de formation en présentiel ou l’ajoutent à des cours suivis en ligne, suivant les besoins de l’entreprise. Et ce parce que cette forme éducative, grâce à l’environnement unique qu’elle crée, enrichit l’expérience des apprenants et lui donne plus de relief. Ce qui conduit à une très bonne assimilation de ce qu’on y apprend. Pourquoi ?

  • Un engagement accru

Le premier gage d’efficacité de l’immersive learning est le fait que les apprenants sont plus “dedans”, autrement dit plus concentrés sur ce qu’ils apprennent. Ils sont actifs, présents, et c’est bien cet engagement qui rend les études efficaces. Guillaume insiste sur la notion décisive de plaisir. « On sait, nous a-t-il dit, que si l’apprentissage est gamifié, il acquiert cette dimension ludique qui amuse et fait aimer les études. On aime cela parce que c’est fictif, qu’on se projette et qu’on s’identifie, comme quand on regarde un film, une série ou qu’on joue sur un ordinateur. Benjamin Bloom, chercheur en sciences éducatives, a notamment montré que quand on se projette de manière expérientielle, une très forte volonté d’apprendre se développe via ce plaisir, et que l’engagement quant aux études est bien plus important. Cela décuple donc la mémorisation. »

Le serious game s’intègre parfaitement dans un parcours de formation pour compléter l’apprentissage en présentiel. D’une part car c’est expérientiel et cela permet à l’apprenant de mettre en pratique ses connaissances ; mais également parce que ces modules peuvent être joués plusieurs fois avec des embranchements différents en fonction des interactions choisies par l’apprenant. Or, l’entraînement régulier aide à développer réellement ses compétences. Guillaume avait un professeur de DUT dont le leitmotiv était : « la répétition fixe la notion ». Le responsable marketing de Serious Factory fait le lien avec la mécanique du serious game : « On retient vraiment bien. Il y a le fait de s’être entraîné en situation réelle bien sûr. Mais tout l’intérêt est également que cela s’intègre avant le présentiel, pour le préparer, pendant, pour dynamiser la formation, et après pour s’entraîner régulièrement quand le formateur n’est plus disponible. Or, 10-15 mn de temps en temps suffisent pour réactiver ce qu’on a appris. Cette mécanique change absolument tout pour la mémorisation et une véritable maîtrise des compétences. »

  • Une zone infinie de tests

Le troisième avantage c’est qu’en serious game, comme son nom l’indique, on n’est pas dans la vraie vie. On prend l’exercice au sérieux, mais si on se rate, cela n’aura pas de conséquences dans le réel. Cela désinhibe énormément, et en même temps, permet de former sur des situations qu’on rencontre peu.

« Le serious game est adéquat pour former aux situations délicates, mais dans lesquelles il est primordial de savoir réagir, note Guillaume. Cela peut être, par exemple, se mettre dans la peau d’un patient schizophrénique avec un casque de réalité virtuelle pour un futur psychiatre. Ou alors, réaliser une simulation d’opération difficile en médecine. Ou encore, apprendre les normes de sécurité ou à utiliser des machines dangereuses dans le milieu de la construction. Dans le bâtiment, nous formons beaucoup d’employés qui sont sur le terrain, qui ont peu accès aux formations et que ça enthousiasme beaucoup d’être formé de cette manière très “ludique”. Nous sommes heureux que cette méthode puisse répondre aux enjeux des entreprises dans leur objectif de développement continu des savoir-faire. »

  • Un outil qui désinhibe pour progresser

Et c’est d’autant plus vrai qu’au contraire du présentiel où on peut se sentir jugé, là on est libres de faire ses propres expériences, de prendre le risque d’échouer sans peur du ridicule. C’est ce que Guillaume note : « on est derrière un personnage qui est notre ombre, on ne risque rien. Pas de trac pour prendre la parole, faire, tester. On appelle cela l’effet Protée, du nom du dieu grec qui pouvait changer de forme. Des études ont démontré que les interactions virtuelles par avatars montraient des apprenants plus impliqués, plus désinhibés, qui prennent des risques, sont actifs, et développent les bons réflexes. Ils n’ont pas peur de se tromper ou faire des erreurs, car l’impact dans le monde réel est nul. C’est donc un formidable terrain de jeu pour apprendre. »

  • L’opportunité de développer des soft-skills

Contrairement aux formations en présentiel, l’immersive learning fait travailler les qualités comportementales. Or, elles sont tout aussi importantes que les compétences techniques. Du fait d’être immergés dans un environnement, les apprenants s’identifient aux personnages qui sont devant eux. Personnages qui leur répondent souvent, grâce à l’intelligence artificielle et au machine learning : « nous avons développé une technologie avec des personnages qui montrent des émotions qui évoluent en temps réel, avec des attitudes spécifiques. Par exemple, si dans le jeu on accueille mal un client, il va se mettre en colère. En voyant cela, les apprenants développent des savoir-être : l’empathie, l’écoute, l’adaptabilité, tout cela pour répondre à l’état du personnage virtuel. Grâce à ces exercices, ils combinent donc des compétences techniques et comportementales, pour apprendre tout ce qui est nécessaire en poste. »

  • La possibilité de formation à distance

L’immersive learning est une excellente solution pour les entreprises qui ont des équipes dans plusieurs pays ou en remote. Les outils peuvent être fournis et toute l’expérience réalisée n’importe où. C’est aussi une modalité de formation flexible, puisque l’apprenant peut faire un module quand il le souhaite, et revenir sur certaines parties si nécessaire.

2. Les terrains d’application au travail

Au vu de ces avantages, ce n’est donc pas étonnant que l’immersive learning trouve naturellement sa place dans des programmes de formation de grandes et petites entreprises. Grâce à lui, les collègues responsables des ressources humaines peuvent :

  • Pallier le fait que les collaborateurs oublient rapidement ce qu’ils ont appris en formation en panachant les modalités d’apprentissage pour fixer les notions, compétences et savoir-être acquis ;

  • Gagner du temps et de l’argent, car le temps passé en formation sera moins long pour un résultat plus probant, donc avec un meilleur ROI ;

  • Tester des compétences en situations reconstituées se rapprochant de la réalité, et d’avoir donc des employés qui ont vraiment “pratiqué” tous types de situations pouvant aller jusqu’à des situations dangereuses, rares, ou de crise ;

  • Former tous les collaborateurs, où qu’ils habitent et quel que soit leur emploi du temps et notamment des travailleurs handicapés qui ont peine à se déplacer en formation ;

  • Offrir les mêmes possibilités d’apprentissage à tous, même aux plus introvertis.

L’immersive learning de demain

1. L’accélération

Selon Guillaume, le monde de la formation prend conscience qu’il faut aller au-delà de l’acquisition de connaissances. « Notre postulat se base sur la règle des 70 / 20 / 10. C’est simple : 70% de ce qu’on maîtrise est relatif à l’expérience. 20% provient de nos interactions sociales : avec des professeurs, des mentors et des collègues. Au maximum 10% enfin, vient de ce qu’on a appris théoriquement. »

Pour réussir à ancrer ces 70%, Guillaume l’assure, rien de plus redoutable que l’expérience. « Le meilleur moyen, dans un cadre digital et de réduction des coûts des organisations, c’est la simulation ». Demain, l’immersive learning devrait donc prendre de la vitesse et se mêler à d’autres formes éducatives, créant des parcours de formations hybrides que l’on appelle “blended learning”, ou encore “classes inversées”.

2. La boîte à outils RH

Cette forme éducative pourra aussi être utilisée par les responsables des ressources humaines.

  • Pour recruter

« Nous avons créé un Serious Game immersif dans le cadre d’une campagne de recrutement pour les métiers de la circulation ferroviaire avec la SNCF. L’objectif était de susciter une prise de conscience sur la diversité des missions liées au métier de technicien aiguilleur. L’opération a été un succès ! », raconte Guillaume.

  • Pour onboarder

« Chez Serious Factory, nous avons un programme d’onboarding sous forme de serious game, où on a recréé nos locaux et où l’on découvre les différents services. L’avatar de notre CEO est le coach virtuel qui accompagne les nouveaux dans la découverte de l’entreprise. » Guillaume.

  • Pour former en interne

« Nous formons aussi avec des outils en interne sur des choses spécifiques. Par exemple, cela sert aux commerciaux, car nous avons réalisé un module de présentation de notre suite logicielle, qui sert en prospection marketing mais aussi en interne pour faire découvrir notre argumentaire marketing et avoir les bons arguments. C’est un peu une mise en abyme de notre outil qui fait en même temps la promotion de l’outil. »

Et demain, pour licencier ?

Et si, pour revenir à notre épisode de Black Mirror, demain, le serious game devenait encore plus serious, et qu’il servait aussi à virer les collègues qui ne parvenaient pas à acquérir les bonnes compétences assez vite ? Une chose est sûre, cette modalité éducative en plein boom n’est pas près d’épuiser ses ressources.

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Photo by WTTJ

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