« J’ai été mis au placard au travail » : comment s’en sortir ?

Nov 19, 2020 - updated May 01, 2022

6 mins

« J’ai été mis au placard au travail » : comment s’en sortir ?

Aller au travail et passer sa journée sur Youtube, tout en percevant son salaire… Rester à la maison, s’occuper de tout sauf de son boulot et être rémunéré malgré tout… Le rêve ! Présentée ainsi, la placardisation dans une entreprise s’apparenterait presque à une situation enviable. Et pourtant… « L’image du placardisé dans notre société est tellement éloignée de ce que vivent ces personnes que cela en est triste, lâche Dominique Lhuillier, autrice de Placardisés. Des exclus dans l’entreprise (Ed. Seuil). Non, ils n’apprécient pas cette situation. Se retrouver au placard, c’est se sentir relégué, exclu, abandonné, sans signe de reconnaissance. C’est une situation pathogène et tabou dans le monde professionnel. » Comment comprendre ce phénomène et comment s’en sortir lorsqu’on en est victime ? Éclairages sur cette situation mal connue.

Qu’est-ce que la « mise au placard » ?

La placardisation est une mise à l’écart progressive d’un salarié, dans un ingénieux crescendo de petites vexations quotidiennes. Le but pour l’employeur ? La plupart du temps, vous pousser à quitter l’entreprise de vous-même. « Une personne mise au placard voit son emploi maintenu, alors qu’on ne lui confie aucune tâche ou des missions qui n’ont rien à voir avec son contrat, précise Dominique Lhuilier. On vous donne des occupations. On vous charge par exemple de gérer le stock de papiers de la photocopieuse. On est dans le faire semblant. »

Qui sont les « placardisés » ?

Le phénomène n’épargne aucun profil. « On peut tous tomber dedans un jour, confirme celle qui s’est entretenue avec des centaines de salariés dans cette situation. J’ai interviewé des jeunes, des seniors, des hommes et des femmes. Cela peut être parce que vous avez été victime d’un cancer et que vous vous êtes absenté pendant plusieurs mois, ou parce que vous êtes syndicaliste et vous “embêtez” votre hiérarchie, du jour au lendemain, on ne vous considère plus comme fiable. Votre emploi a disparu. »

Certes, 80% des victimes seraient des cadres ou des managers selon une étude de l’Institut du Salarié réalisée en 2014, mais les chiffres restent difficiles à trouver : « Le statut n’est pas officiel et aucun service de ressources humaines ne tient ce genre de statistiques. À chaque fois, l’entreprise affirme: “il n’y a pas de placardisés chez nous”. J’en ai pourtant trouvé plusieurs lors de mes recherches… »

Quand se retrouve-t-on “mis au placard” ?

Certains épisodes de la vie d’une entreprise ou d’une administration sont particulièrement propices à la mise au placard. « Dans la fonction publique, c’est souvent le cas lors d’alternance politique, cite Dominique Lhuillier. Ceux qui tenaient des postes les perdent. Soit ils arrivent à trouver un autre emploi immédiatement, soit ils deviennent ce qu’on appelle des hors cadre. Ils sont alors chez eux, sans travail mais avec un emploi. »

Dans le privé, le phénomène se concentre essentiellement autour des grandes organisations : « Quand une entreprise délocalise, par exemple, elle ferme une usine. Les salariés qui ne veulent pas bouger peuvent se retrouver au placard sur un site industriel fermé. Ils attendent alors un accord sur leur licenciement. » De nombreux cas de figures peuvent en fait entraîner des situations de placardisation : le rachat par un concurrent conduisant à des doublons de postes, une restructuration importante supprimant des services entiers, un changement de direction générant un “grand ménage”, etc.

Mais si la placardisation obéit plus souvent à des logiques d’organisation, les motifs sont parfois plus personnels : une mésentente avec un manager, l’arrivée d’un nouveau poulain à placer et qui remplace un salarié ou encore un désaccord au sujet de la stratégie du groupe peuvent aussi y mener.

Les signes avant-coureurs

Les signes avant-coureurs sont nombreux, parfois subtils et souvent progressifs. Sans céder à la paranoïa au moindre doute, leur convergence doit être prise au sérieux. Le but est souvent de vous pousser à la démission en vous retirant ce qui fait l’intérêt ou [le sens de votre travail] (https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/sens-au-travail). « On n’a jamais vu un DRH convoquer quelqu’un pour lui dire qu’il est au placard, constate Dominique Lhuillier. La placardisation est non dite. La personne ne comprend d’abord pas ce qui lui arrive. Elle se demande où elle a pu fauter. » Voici quelques signes qui pourraient tout de même vous mettre la puce à l’oreille :

  • Vous êtes écarté des réunions. On a “oublié” de vous convier à la réunion de service ? Vous êtes le seul à ne pas être au courant des dernières décisions de votre manager ? Vous n’êtes plus dans la boucle des mails ?
  • Vous êtes dénigré régulièrement. Votre supérieur conteste constamment vos idées ? Il vous met publiquement en porte-à-faux ?
  • On vous retire petit à petit les moyens de travailler. Personne ne vient réparer votre ordinateur ou mettre à jour vos logiciels ? Vous n’avez plus accès au réseau social interne, aux serveurs partagés ?
  • On vous retire des responsabilités. On “allège votre charge de travail” en vous déchargeant d’une mission importante ? On demande subitement à une personne de contrôler tous vos dossiers ?
  • Vous êtes isolé géographiquement. Le “nouveau bureau flambant neuf” que l’on vous propose se trouve être au dernier sous-sol de l’entreprise ? Ou celui qui est tout au bout du couloir, éloigné de vos collègues ou de votre équipe ?

La mise au placard peut s’étaler sur plusieurs mois, voire plusieurs années. La disgrâce est alors difficile à détecter. « Le temps passe, décrit Dominique Lhuillier. La personne voit que ses collègues continuent à travailler. Elle a un temps d’espoir. Elle se dit qu’on va bien la sortir de là. Mais progressivement, le bore-out ou les dépressions s’installent. On se retrouve avec des maladies psychosomatiques, des ulcères, des troubles du sommeil. Souvent, les victimes finissent par aller consulter un médecin pour se remettre de cette mise à l’écart. »

Comment « sortir » du placard ?

Comment intervenir dans une telle situation ? Se battre ? Partir ? Dans tous les cas, la meilleure solution reste d’agir et ne pas attendre que la situation se débloque d’elle-même: « Soit on tombe dans l’arrêt longue maladie, soit on cherche à rebondir. Il n’y a pas de sortie du placard dans l’isolement. Pour que la situation se décante, il faut soit quitter l’entreprise, soit que le contexte au sein de l’organisation change. »

Dans tous les cas, ne tardez pas à agir : « Plus on attend, plus on aura de difficulté à passer à l’action. En cas d’arrêt longue maladie, c’est terrible mais le soupçon pèse pour les futurs recruteurs. Comme si les personnes ne pouvaient pas changer. Ils se disent que l’histoire va se répéter. » Au sein de l’entreprise, pour tenter une réintégration, plusieurs options s’offrent à vous.

  • Évoquez la situation avec vos collègues. Cela vous permettra de confirmer ou d’infirmer vos soupçons. C’est aussi nécessaire pour ne pas vous isoler et risquer de vous faire oublier.
  • Si vos échanges confirment votre impression, allez voir votre supérieur. Essayez de comprendre les raisons de cette mise à l’écart et montrez vous déterminé(e) à travailler sur les points bloquants, lorsque c’est possible. C’est également l’occasion de faire le point sur vos compétences, vos savoir-être et vos objectifs professionnels.
  • Si la situation n’évolue pas, il faut frapper plus haut. Sollicitez un rendez-vous avec les RH ou la direction générale. C’est leur rôle de corriger le tir. Vous pouvez également trouver un appui du côté des délégués du personnel, ils ont souvent les moyens de vous accompagner.
  • En parallèle et si vous souhaitez rester dans l’entreprise, montrez-le ! C’est le moment de redoubler d’efforts, de vous investir sur de nouveaux projets pour illustrer votre motivation. Les échos de votre dynamisme pourraient faire changer d’avis vos supérieurs ou donner envie à un autre manager de vous faire rejoindre son équipe, même s’il est dommage de devoir en arriver là pour prouver votre valeur.

Dans le cas où vos efforts n’auraient pas porté leurs fruits, votre dernier recours est de saisir la justice. Commencez par monter votre dossier en consignant les faits précis et contactez un avocat.

Ce que dit la loi

La loi ne donne pas de définition juridique de la mise au placard, la notion reste donc floue. Cependant, vous pouvez vous appuyer sur deux des obligations légales de l’entreprise : l’employeur est dans l’obligation de vous fournir le travail prévu au contrat (art. 1194 du Code civil) et de prévenir toute situation de harcèlement moral (art. L. 4121-1 du Code du travail). Deux éléments qui font souvent défaut lors d’une mise au placard et dont le salarié peut se servir.

Peut-on avoir gain de cause dans une situation de “mise au placard”?

Les poursuites en justice sont de plus en plus courantes, la jurisprudence s’étoffe et les témoignages de victimes se multiplient sur Internet. Cependant, les procédures restent difficiles à mettre en oeuvre. C’est à vous, salarié victime, de prouver votre isolement soudain, un changement de bureau, la suppression de vos responsabilités, etc. Auquel cas, il est possible d’intenter une procédure aux Prud’hommes afin d’obtenir la résiliation de votre contrat.

Quelle solution espérer ?

Pendant la durée de cette procédure, vous êtes tenu de rester dans l’entreprise. Si la justice vous donne gain de cause, vous pouvez quitter l’entreprise dans les conditions habituelles d’un licenciement, et donc une indemnisation. Si ce n’est pas le cas, vous serez débouté et votre contrat de travail se poursuivra normalement.

Vous décidez de quitter l’entreprise : tout ce que vous devez savoir

Si une discussion à l’amiable n’a pas fait évoluer votre situation et que vous ne souhaitez pas entamer une procédure judiciaire, quelles sont vos solutions ? Vous pouvez négocier votre départ et demander une rupture conventionnelle vous permettant de partir avec des indemnités et un préavis négociés. En apportant les preuves du harcèlement moral dont vous êtes victime, un employeur qui ne souhaite pas faire de vague peut se montrer plus ouvert à la discussion.

« Tout le monde s’en sort finalement, conclut Dominique Lhuillier. On ne reste pas une vie professionnelle entière au placard. Ce ne serait pas soutenable. Certains s’en tirent sans trop de dégâts économiques ou sur leur santé. » La situation est évidemment plus difficile pour ceux qui, en démissionnant, perdent beaucoup…

[Article mis à jour par Geoffroy Bresson le 3/06/2022]