En 2018, comment rejoindre le marché de l'art ?

Jan 03, 2018

10 mins

En 2018, comment rejoindre le marché de l'art ?
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Nora Leon

Communications & content manager

La date du 15 novembre 2017 restera un raz-de-marée sur le marché de l’art. Achetée pour quelques livres en 1958, l’oeuvre Salvator Mundi, attribuée à De Vinci, est adjugée 450 millions de dollars chez Christie’s. Elle détrône donc largement Interchanged de Kooning et Nafea faa ipoipo de Gauguin, acquises respectivement en 2016 et 2015 pour 300 millions de dollars chacune.

Mais cette création de valeur est-elle créatrice d’emplois ? __Dans ce milieu passionnant mais difficile d’accès et très prisé, comment sortir du lot ? Welcome to the Jungle fait le point sur les principaux métiers du marché et comment y accéder.

Panorama du marché de l’art en 2017 et prédictions pour 2018

Outre cette vente record, le marché de l’art se porte bien. Cette année ont été adjugés un Basquiat pour 110,5 millions de dollars, un Léger pour 70 millions de dollars, et un Van Gogh pour 81,3 millions de dollars.

Nous avons demandé à deux spécialistes, Jean-Baptiste Costa de Beauregard, ancien d’Axa Art et de Collectrium (outil de collectionneurs racheté par Christie’s en 2015), qui travaille actuellement sur les projets stratégiques du magazine Beaux-Arts, et Paul Nyzam, Directeur de la vente du soir en art contemporain chez Christie’s à Paris, de nous donner leurs highlights de leur année 2017 sur le marché de l’art et leurs prédictions pour 2018.

Pour Jean-Baptiste, ce qui ressort de 2017 et s’annonce pour 2018 est la progression toujours timide de la technologie, avec de plus en plus de cas d’usages :

  • Des fonds communs de placement en art 100% digitaux (Maecenas notamment),
  • De plus en plus de solutions de gestion de collections (tropy.co, Anatole tools, Collecteurs),
  • Des applications de reconnaissance d’œuvres d’art (Magnus, Smartify),
  • Beaucoup de discours velléitaires sur la blockchain et l’art, à voir en 2018 en pratique.

Mais aussi la transformation pour 2018 de deux acteurs majeurs sur le marché parisien : Drouot, qui développe une stratégie digitale pour devenir une marketplace européenne, et Beaux-Arts & Cie qui met en œuvre une stratégie d’expansion média et de diversification hors média (conseil aux institutions culturelles, événementiel) pour assurer son développement.

Pour Paul, cette année a été marquée par des temps forts et un dynamisme sur le marché de l’art contemporain :

  • Seuls les chefs d’œuvre partent encore, parfois au détriment de certaines autres spécialités notamment le mobilier ancien,
  • Le marché « est plus global qu’il ne l’a jamais été, solide, profond, marqué par la présence des liquidités, avec un vrai tri entre le splendide et le moins bon. »
  • La re-découverte de certains artistes oubliés, et notamment François Morellet, ou encore Martin Barré, dont une œuvre a été préemptée par le centre Pompidou.
  • La présence forte des acheteurs asiatiques, et plus uniquement sur de l’art chinois.

Les principaux métiers du marché

Malgré la croissance du marché de l’art, il continue à y avoir beaucoup d’appelés mais peu d’élus. La plupart des postes sont la confirmation de six mois de stage au minimum. Selon Paul Nyzam, en maison de ventes, on entre en début de carrière ou avec quelques années de bouteille : « 99% des candidats sont des anciens stagiaires, ce qui nous permet de les tester. La deuxième voie d’entrée est après plusieurs années d’expérience, des profils seniors qui amènent un beau carnet d’adresses, et qui prennent des postes à responsabilités. » Petit tour d’horizon des possibilités.

Si vous avez un type d’art ou d’objets d’art qui vous passionne, vous pouvez devenir spécialiste. Ce sont des métiers de passion et de réseau, qui nécessitent une grande expertise et souvent un tempérament commercial.

Galeriste

  • Le job : contribuer au rayonnement local, national et/ou international des artistes choisis, exposés et managés. C’est un métier de réseau, qui tourne beaucoup autour de l’événementiel. On a coutume de dire que les galeries sont le “premier marché” de l’art, là où les maisons de vente sont le “second marché”. Vous serez l’intermédiaire entre artistes et clients.
  • Le profil : Vous devrez avoir une expertise à la fois d’historien et de commercial, puisque le relationnel est absolument décisif. Mais aussi la capacité à organiser des événements, à innover, à créer un produit marketing et une marque, car le sensationnel fait partie intégrante du métier. Généralement, les galeristes sont des historiens de l’art ou des commerciaux avec une forte expertise artistique. Mais certains galeristes se reconvertissent par amour de l’art et n’ont pas de formation académique, il n’y a donc pas de barrière forte à l’entrée.
  • Les conditions : En tant qu’employé de galerie, il n’y a pas de règle. Les postes les moins valorisants peuvent être au SMIC au départ : il faut mériter sa place et savoir se rendre indispensable. Une fois une expertise créée ou une galerie ouverte en son nom, les salaires sont plus élevés, car ils sont indexés sur les ventes.
  • Les débouchés : On ne manque pas de galeries, en France ou à l’international. Les places sont plus chères dans les galeries incontournables, mais là encore presque tout se joue sur le réseau. Commencez dans une galerie qui vous plait, où vous avez un bon contact avec le galeriste, et vous monterez au fur et à mesure que vous acquerrez de l’expérience.

Marchand d’art

  • Le job : Le même que celui d’un galeriste, mais en loup solitaire. Le marchand d’art, aussi appelé “courtier d’art”, met en relation un acheteur et un vendeur, voire un artiste. Selon ce que son client recherche, il trouve l’œuvre parfaite sur le marché international, négocie les prix et accompagne la transaction. C’est un conseiller sur-mesure qui, selon son influence, peut même prendre part à la création des tendances sur le marché - c’est le cas par exemple de courtiers qui conseillent de grands acheteurs, tels François Pinault ou Jean-Jacques Annaud.
  • Le profil : Pour des experts en art, de fins négociateurs et des individus au relationnel hors-paire. Il faut absolument avoir une formation solide en art (École du Louvre, faculté, école d’art ou formation acharnée en tant qu’autodidacte - ne fermons pas la porte aux génies) et une expérience professionnelle de quelques années peut être un vrai plus pour être crédible.
  • Si l’on prend l’exemple de Philippe Ségalot, courtier de Pinault, il a travaillé pendant quelques années chez L’Oréal en développement de produits avant d’entrer sur le marché de l’art comme courtier à New York. Aujourd’hui, il négocie certains des plus grands deals du marché de l’art contemporain et découvre des artistes de renommée internationale.
  • Les conditions : En tant qu’indépendant et payé à la commission (Entre 10 et 20% du prix d’une vente).
  • Les débouchés : En tant que loup solitaire, quand vous pensez avoir l’expertise et le réseau pour, lancez-vous !

Spécialiste en maison de ventes ou commissaire-priseur

  • Le job : “Adjugé, vendu”. Heureusement, le job ne se résume pas à tenir le marteau : il faut d’abord convaincre les vendeurs de confier leurs biens et documenter les œuvres pour les ventes, créer le catalogue, informer les acheteurs réguliers de la vente, communiquer autour de l’événement, et suite à la vente faire du service client premium sur-mesure. Là encore, c’est un métier à la fois de passionné d’art et de commercial.
  • Le profil : Plutôt après des études d’art (master d’Histoire de l’Art, école du Louvre, ou des études spécialisées pour certains départements : écoles de design, d’oenologie pour les vins, de gemmologie pour les bijoux…) et des études d’école de commerce (par exemple un master spécialisé, Paul Nyzam et Jean-Baptiste Costa de Beauregard sortent du master Média, Art et Création d’HEC, mais Dijon et l’ESCP notamment ont des masters de grande qualité). Vous devrez soit passer le concours national, soit être spécialiste en maison de ventes pendant 7 ans, puis le passer par équivalence.
  • Les conditions : En tant qu’employé, les postes de juniors (administrateur, catalogueur, spécialiste junior…) sont dans la fourchette basse des salaires (28-31K en général) mais si on a un bon carnet d’adresse et une vraie expertise, ils décollent (de 60 à +100K).
  • Les débouchés : Les premiers postes sont toujours attribués après un stage : lancez-vous, ou acquerrez de l’expérience pour la vendre au bout de quelques années.

Expert ou courtier d’art

  • Le job : Un expert d’art certifie, valorise, date et attribue une œuvre d’art. Il est sollicité par les galeristes, conservateurs, commissaires-priseurs. Il fait des recherches, compare, utilise la science pour déterminer les différents éléments de l’authentification d’une œuvre, et rédige des ouvrages sur ses travaux.
  • Le profil : Pour des professionnels connaissant sur le bout des doigts un artiste ou un type d’art, formés en école d’art ou à la faculté, jusqu’en master voire jusqu’au doctorat. De solides compétences en analyse et en rédaction sont nécessaires.
  • Les conditions : En libéral, en tant que salarié pour un entrepôt ou un antiquaire, en tant qu’antiquaire ou marchand. Les experts sont généralement commissionnés entre 3 et 8,5% sur une vente.
  • Les débouchés : Il y a toujours besoin d’experts mais il n’y a de place que pour les meilleurs, qui sont incontournables sur un artiste ou une période et à qui on fait appel dans tous les cas. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire !

Conservateur de musée

  • Le job : Un conservateur est garant de la préservation du patrimoine. Il est chargé de l’inventaire, l’étude, la mise en valeur et la conservation des collections d’un musée. Au quotidien, pour mettre en valeur le patrimoine, il coordonne les différents corps de métiers : restaurateurs, muséographes, scénographes, experts, personnel scientifique, administratif ou technique.
  • Le profil : Ce poste est accessible suite à 18 mois études à l’INP (Institut national du patrimoine). L’École du Louvre, l’INP, le CNAM et certaines universités (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris 4, Paris-Nanterre, l’Institut catholique de Paris, par exemple) assurent des préparations aux concours des conservateurs du patrimoine.
  • En tant qu’expert ou conservateur du patrimoine, on demandera une forte capacité rédactionnelle et d’analyse, un sens du détail accru, de la curiosité intellectuelle, des facultés d’organisation et de coordination de nombreuses équipes.
  • Les conditions : Poste de fonctionnaire d’État avec des salaires définis au niveau national, allant de 24K pour un débutant à 50K bruts annuel pour un senior.
  • Les débouchés : Le concours est difficile (8% de personnes reçues l’année dernière, et on ne peut le tenter que deux fois). Une fois le concours passé, vous êtes fonctionnaire et vous avez une place (à vie).

Directeur de salon ou de foire d’art

  • Le job : Positionner, planifier, organiser, tenir une foire d’art contemporain. Véritable chef d’orchestre, le directeur est sur tous les fronts : choisir et inviter les exposants, communiquer autour de l’événement, rédiger le programme, coordonner les services techniques et logistiques pour la bonne tenue de l’événement.
  • Le profil : C’est probablement l’un des métiers les plus “ouverts” car aucune formation n’est conseillée pour l’exercer. École de commerce, d’ingénieur avec une spécialisation en gestion de projets événementiels, sciences politiques ou encore une faculté de communication, vous pouvez emprunter bien des voies, mais une expertise en art, management et gestion événementielle est indispensable.
  • Les conditions : Un salaire de débutant en CDI est généralement autour de 33K annuels. Les postes seniors sur de très grosses foires et salons sont bien sûr beaucoup plus juteux.
  • Les débouchés : Autant de postes que de foires ou de salons. La plupart des postes sont alloués à des professionnels avec +5 ans d’expérience, voire des gens très seniors.

Chargé·e de partenariats et mécénat

  • Le job : En musée, fondation ou foire, construire une politique de mécénat, convaincre les mécènes grâce à un argumentaire précis, conclure les deals, organiser les événements partenaires, et mettre en valeur ces partenaires dans la communication de l’institution. Le job comprend une grande part de stratégie, de négociation, et d’humain, car les relations avec les mécènes sont entretenues via de l’événementiel, par exemple.
  • Le profil : Là encore, job très ouvert, allant de profils d’écoles de commerce ou d’IEP à des professionnels formés à la Fac, en gestion de projets culturels, histoire de l’art, lettres modernes, LLCE si mission internationale. On vous demande de développer une stratégie, d’avoir des capacités d’expression et d’argumentation, et d’organisation d’événements.
  • Les conditions : En tant que salarié, entre 25 et 30K pour un junior, mais les postes de seniors peuvent aller jusqu’à 50K voire plus, en fonction de la structure et de la part occupée par le mécénat dans son financement.
  • Les débouchés : Énormément. Tous les musées, toutes les fondations, et de plus en plus de foires et de galeries ont des stratégies qui englobent largement le mécénat ou les partenariats. Et pas que sur le marché de l’art, mais aussi dans la culture au global.

Les nouveaux métiers digitaux

Si l’art vous intéresse et que vous avez une expertise dans un métier non lié à ce marché, vous pouvez intégrer une institution sans être spécialiste. En effet, les métiers dits de “support” rassemblent diverses spécialités, dont certaines nécessitent une expertise artistique (chargé de relations galeristes, commercial en foire, chargé de mécénat ou partenariats…) ou pas. Mais dans tous les cas, l’intérêt pour l’art est un pré-requis pour toutes les candidatures, et notamment pour des métiers en contact direct avec l’art, par exemple le marketing ou la communication.

Dans les fonctions support, il faut à la fois avec une bonne maîtrise technique de son métier, de l’intérêt pour l’art et le milieu, et la même capacité à réseauter qu’ailleurs, car oui, sans aucun doute possible, tous ces métiers s’appuient essentiellement sur le réseau !

À noter aussi que le boom des start-up technologiques sur le marché de l’art dont parlait Jean-Baptiste de Beauregard a créé et continue de créer des emplois, et notamment sur des métiers tels que le développement web, le design, les métiers de la data et de l’IT. Dans les start-up du marché de l’art déjà établies (Artsy, Paddle 8, Collectrium aux États-Unis, Artsper en France), les profils sont triés sur le volet et embauchés à la fois pour leur expertise technique, leur connaissance réelle de l’art et leurs soft skills, essentiels dans une entreprise à l’environnement “instable”. Dans les start-up plus jeunes, des opportunités restent à saisir un peu plus facilement pour des profils juniors.

Comment postuler ?

Paul Nyzam donne trois conseils pour entrer en maison de ventes, mais qui sont valables pour tous les métiers du marché non accessibles par un concours d’État :

Identifier précisément votre territoire d’expertise

Rien de plus dommageable pour une candidature de venir en disant qu’on aime l’art mais en ne sachant pas détailler. Paul Nyzam insiste : _« Il faut identifier clairement ses centres d’intérêts, ne pas arriver en disant “j’aime bien l’art, mettez-moi où vous voulez.” Puis, analyser avec précision comment fonctionne une maison aux enchères en sachant si l’on veut être spécialiste ou travailler dans une fonction support. » _Bref, vous avez beaucoup plus de chances de voir fleurir une opportunité si vous êtes passionné par un département précis et savez communiquer votre intérêt clairement.

Réseauter, réseauter, réseauter

Ce n’est pas un scoop mais cela reste le nerf de la guerre : les métiers du marché de l’art sont et resteront avant tout des métiers de réseau. Il est beaucoup plus facile de candidater auprès des opérationnels en interne, dans une maison de ventes, foire, galerie ou même une start-up dans le domaine. Paul note : «Il est pertinent de candidater en se rapprochant de quelqu’un à l’intérieur plutôt qu’en contactant de façon aléatoire les RH. Ce sont des métiers de réseau, c’est bien d’avoir tissé le sien avant de postuler et de passer par l’équipe. Il y a beaucoup de candidats pour assez peu de postes. Il faut donc trouver une façon de se faire connaître et remarquer. »

Persévérer

Difficile en sortant d’école de trouver le poste de ses rêves tout de suite. Nombreux sont ceux qui atterrissent dans un département qui les intéresse moins qu’un autre au début, à un poste d’administrateur ou de catalogueur au lieu de spécialiste, en maison de ventes. Quelle que soit l’institution, les postes sont rares et chers, et toute entrée dans l’entreprise vous donne donc l’occasion de vous faire repérer en bien est une opportunité en soit. Et Paul vous conseille, si vous ne trouvez pas l’institution qui vous intéresse tout de suite, d’analyser le marché de manière globale et de travailler dans une entreprise connexe : en galerie si vous visiez un musée, en foire si vous visiez une maison de ventes… Les frontières sont poreuses, et au bout d’un moment, le réseau et la résilience font de la magie.