Love Bombing : un recruteur qui vous promet la lune, est-ce bon signe ?

Sep 21, 2023

6 mins

Love Bombing : un recruteur qui vous promet la lune, est-ce bon signe ?
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Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

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Un recruteur vous tartine de compliments, vous déroule le tapis rouge, vous promet la lune… Et vous vous retrouvez soudainement à signer une promesse d’embauche pour un poste dont vous connaissez à peine les contours. Alerte, vous êtes peut-être victime de « love bombing. »

Oui, la sensation d’être courtisé(e) par un recruteur est agréable, mais méfiance. Que se cache-t-il derrière cet excès d’enthousiasme ? Décryptage et témoignages sur cette tendance qui s’immisce dans le monde du recrutement.

Le love-quoi ?

Le « love bombing » est une stratégie utilisée par certains recruteurs pour attirer des candidats en les submergeant de compliments, de promesses attrayantes ou d’attention excessive. Leur objectif ? Endormir votre esprit critique et vous convaincre de rejoindre l’entreprise. Rapidement. Le love bombing, c’est finalement la fusion entre le monde du travail et “Hitch, expert en séduction”.

Car oui, le terme vient initialement du domaine des relations amoureuses. Et on ne parle pas des romans à l’eau de rose, mais plutôt des relations à tendance toxique… qui flirtent avec l’abus de confiance.

Et une fois les paillettes retombées et la lune de miel terminée, cette pratique peut conduire à des déceptions. « A minima, cette désillusion provoquera de la démotivation : baisse de performance, moins d’implication, absentéisme… Et au pire, elle peut conduire à un départ de l’entreprise, durant la période d’essai ou plus tardivement », alerte Charlène Hémery, dirigeante de TalentCatcher. L’employeur n’a donc rien à gagner à survendre un environnement de travail, un projet d’entreprise ou un quotidien mensonger.

Et le danger d’une telle pratique ne s’arrête pas là. « Il existe également un risque d’image puisqu’un collaborateur dupé ne gardera certainement pas cette information pour lui_», observe Charlène Hémery. Voire, un risque légal. « _Des promesses écrites qui seraient non tenues pourraient représenter un risque de contentieux pour l’entreprise », rappelle la dirigeante.

Face à la pénurie de talents, tous les coups sont-ils permis ?

L’année dernière, Christian - data analyst - est contacté par un cabinet de conseil. Son profil et son niveau de compétences sont très recherchés. « Dès les premiers échanges, on m’a agité sous les yeux un salaire à six chiffres et des missions passionnantes, se souvient-il. Mais surtout, j’ai senti une certaine pression à accepter rapidement, avec un recruteur qui m’a rappelé plusieurs fois pour me convaincre d’accepter », confie-t-il.

Sauf qu’une fois son contrat signé, il déchante. Si la mission se révèle effectivement enrichissante d’un point de vue technique, les relations avec son client sont tendues et l’engagement demandé par son cabinet frôle l’esclavagisme moderne. «Je me suis bêtement laissé berner par le challenge technique, le salaire, et un petit peu mon égo, j’imagine… Je n’ai pas pensé à me renseigner sur les pratiques managériales, la culture d’entreprise, l’équilibre vie-pro vie-perso, etc. Et ils se sont bien gardés de m’en parler en entretien », ajoute-t-il.

L’œil de l’experte : « La surenchère accroît les pratiques douteuses La pénurie de talents signifie toujours plus d’avantages, de flexibilité, un salaire plus généreux que le concurrent… explique Charlène Hémery.Que ce soit à des fins malhonnêtes, ou non, je pense que la mise en compétition entraîne des dérives. J’ai coutume de dire qu’il est urgent de proposer “mieux” plutôt que “plus” aux candidats, car personne ne peut remporter cette course effrénée. »

Quand les recruteurs pèchent par enthousiasme

Mais rappelons-le, les recruteurs ne sont pas toujours mal intentionnés. C’est le constat de Claire, qui a quitté son poste de cheffe de projet dans une grande entreprise pour rejoindre une start-up et la promesse d’une grande aventure. « Avec le recul, je réalise que ma manager - celle qui m’a convaincue de sauter le pas - est authentiquement optimiste et enthousiaste. Elle était sincèrement convaincu que j’étais géniale et que ce poste était parfait pour moi », admet-elle.

Pourtant, elle comprend progressivement que ce poste ne lui correspond pas : « J’ai démissionné à un moment où j’avais envie de changer de vie. Et même si mes collègues sont géniaux, ce métier n’était tout simplement pas fait pour moi. Je me suis laissée emporter par quelqu’un qui a cru en moi, et je n’ai pas réfléchi à ce dont j’avais réellement envie» reconnaît-elle.

L’œil de l’experte : « J’ai tendance à penser que les pratiques 100% mal intentionnées restent rares car les conséquences sont connues de tous et peuvent être lourdes, tempère Charlène Hémery. Mais il arrive qu’un recruteur embellisse consciemment la réalité afin de convaincre le profil de les rejoindre, dans un intérêt commun, quand l’opportunité coïncide parfaitement avec le candidat. »

Charlène Hémery évoque également d’autres raisons qui peuvent conduire à un recruteur à montrer trop d’enthousiasme pour un candidat :

  • Un intérêt personnel, notamment pour les recruteurs aux objectifs de recrutement très ambitieux
  • Un engagement précipité sur des variables dont il n’est pas le seul décisionnaire : rémunération, flexibilité du travail, opportunités d’évolution…
  • Une attention sincère qui n’est simplement pas poursuivie avec autant d’intensité par les opérationnels qui prennent le relais.

Alors, que vous soyez face à un recruteur qui frise la malhonnêteté ou non, comment gérer le love bombing ?

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Retour d’expérience #01 : Compter sur ses proches pour garder la tête froide

« Jamais je n’aurais postulé à cette offre d’emploi moi-même. J’ai des convictions écologiques très fortes et cette boîte était plutôt du côté des “pollueurs”, commence Alizée, cheffe de projet IT.Mais on est venu me chercher avec des arguments qu’il est difficile d’ignorer : un salaire important, beaucoup d’avantages et du budget pour mes projets. ». Lors des entretiens, ses interlocuteurs sortent le grand jeu : éloges sur son parcours, brochures sur leur politique RSE, et même une visite complète des locaux « avec vue sur la Tour Eiffel ». Tout est organisé pour la séduire et endormir ses convictions personnelles.

« Ils ont cherché à m’en mettre plein la vue, et ça a failli marcher. Mais j’ai pris le temps d’en parler autour de moi et mes proches étaient unanimes : ce serait une erreur d’accepter, car les activités de l’entreprise sont bien trop loin de mes valeurs », explique-t-elle.

L’œil de l’experte : « Toute personne extérieure au processus de recrutement - et donc aux échanges relationnels - peut permettre de peser le pour et le contre, de façon plus objective. Échanger autour de soi, avec des personnes de confiance, permet également de recueillir plusieurs avis sur une entreprise. Toutefois, la décision finale doit rester entre les mains du concerné : mieux placé que quiconque pour savoir ce qui est bon pour lui », conseille Charlène Hémery.

Retour d’expérience #02 : Être lucide sur ce que l’on est prêt(e) à accepter

« Ces six dernières années, cela faisait trois fois que mon ancienne manager me proposait un poste. Sans trop insister, mais avec la régularité d’une horloge suisse ! », explique Jacob, community manager. E-mails, SMS, messages LinkedIn… son insistance finit par payer. Un jour, il accepte de passer un entretien. « Pour être honnête, c’est flatteur d’être chassé comme cela », reconnaît-il.

Ce n’est qu’à la fin du processus de recrutement qu’il comprend ce qui se cache derrière ces nombreuses sollicitations : un salaire au ras des pâquerettes. « Il était donc là, le loup ! rit-il. Si je l’avais su dès le départ, je n’aurais pas postulé. Mais après trois entretiens, j’avais commencé à me projeter sur le poste. Alors j’ai accepté. Bonne ou mauvaise idée ? L’avenir me le dira. »

L’œil de l’experte : « Je pense que l’introspection et une bonne connaissance de soi sont indispensables : nos attentes et besoins évoluent, il faut rester au fait de ce qui compte pour nous, à cet instant », observe Charlène Hémery.

Retour d’expérience #03 : Faire preuve de scepticisme et poser des questions

Quand l’ancien manager de Candice, il lui dépeint le nouveau projet sur lequel il travaille, celle-ci n’est pas intéressée. Mais il insiste. « Il me vantait les bénéfices de participer à un tel projet pour ma carrière, il me proposait des déjeuners “juste pour avoir mon avis”, me promettait un bonus énorme en cas de revente… », explique l’ancienne responsable marketing.

Freelance, elle limite son activité pour pouvoir consacrer la moitié de sa semaine à ce projet. « J’étais sceptique, mais j’avais peur de passer à côté de quelque chose», reconnaît-elle. Rapidement, elle comprend que sa méfiance était de mise. « Le projet était beau sur le papier, mais tout était à faire et il n’y avait pas de budget pour embaucher quelqu’un d’autre. Et sans budget, le projet n’avait aucune chance d’aboutir. Alors je suis partie, et je pense que j’ai bien fait », confie-t-elle.

L’œil de l’experte : « Afin de parer les promesses intenables, l’idéal est de demander des exemples et si possible des mises en relation avec des collaborateurs. Les entreprises sont de plus en plus habituées à ce que leurs collaborateurs soient sollicités par des candidats - notamment sur les réseaux sociaux - afin de connaître les coulisses. Il est donc courant de mettre en relation des employés et leurs potentiels futurs collègues : ne soyez pas gêné de demander ! », recommande Charlène Hémery.

« C’est la première fois que je rencontre un candidat comme vous », dit-il en vous regardant dans les yeux ? Ne le laissez pas sortir les chandelles et les violons, et interrogez-vous sur cet intérêt, certes flatteur, mais souvent suspect. Face aux sirènes du “love bombing”, la meilleure riposte est de poser des questions. Car s’il n’est pas toujours facile de garder la tête froide (et les idées claires), obtenir le maximum d’informations et fissurer la muraille de langue de bois de votre recruteur vous permettra de vous faire un avis plus objectif sur le poste. Car comme dans le monde des rencontres amoureuses, un mariage express se termine généralement par un divorce tout aussi rapide.

Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps