Négocier son salaire un peu, beaucoup, pas du tout : qu'en pensent les recruteurs ?

Dec 07, 2023

4 mins

Négocier son salaire un peu, beaucoup, pas du tout : qu'en pensent les recruteurs ?
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Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

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Et si notre manière de négocier notre salaire entrait aussi en ligne de compte dans le choix final des recruteurs ? Existe-t-il des risques d’en faire trop, ou pas assez ? Voici l’avis des experts.

Lorsqu’il s’agit de jouer cash sur table lors d’un recrutement, il faut avouer que nous ne sommes pas tous sur un pied d’égalité. Certains vont sortir le grand jeu quand pour d’autres, l’exercice va ressembler à s’y méprendre à l’enfer sur terre. Alors, que l’on soit ou non un as de la négociation, quel message envoyons-nous aux recruteurs selon notre manière de faire… ou de ne pas faire ?

Négocier, une étape non-négociable pour certains métiers ?

En matière de négociation, tous les professionnels ne sont pas logés à la même enseigne selon leur domaine d’exercice. Dans certains métiers, la manière de négocier son salaire va être scrutée de près. HR Business Partner, Johary Ranarison nous explique porter une attention particulière aux populations commerciales. « La négociation faisant partie de leur métier, que ce soit dans le B2B ou le B2C, celle-ci est plutôt bien vue. A contrario, certains commerciaux qui avaient d’emblée accepté la proposition émise m’ont mis la puce à l’oreille », explique-t-il. Toutefois, il ajoute que la négociation est plus large que le simple fixe ou le variable, il y a aussi le welcome bonus, le paiement du logement au démarrage, la voiture de fonction, les stock options… Pour Michael Obadia, CEO et fondateur du groupe Upward, la capacité à négocier va également être scrutée chez les populations de C Level, et globalement tous les métiers où l’on est amené à représenter l’entreprise en externe. « Savoir négocier son salaire est important, car cela démontre une capacité à défendre ses intérêts et à assumer son point de vue, et par extension la possibilité de le faire par la suite pour l’entreprise », affirme-t-il.

Je négocie donc je suis… un candidat investi !

Mais en dehors de ces typologies de métier, faut-il ou non toujours négocier ? Pour Michael Obadia, la réponse est sans appel : il ne faut jamais hésiter à négocier sauf dans le cas d’une entreprise qui communiquerait sur ses grilles à l’externe. Il cite cette étude qui révèle que 70% des managers s’attendent à ce que le candidat n’accepte pas la première offre. Selon lui, démontrer que l’on souhaite bien gagner sa vie témoigne d’une envie de progresser dans l’entreprise. Il s’agit d’une clef de performance. « C’est un signal positif en matière de confiance en soi et de conscience de sa valeur, et puis, à moins qu’elles aient affirmé être au maximum de leurs possibilités, les entreprises en gardent souvent sous le coude », explique-t-il, ajoutant n’avoir jamais vu aucune entreprise reprocher à un candidat de négocier (sauf cas exceptionnel que nous verrons plus bas). De plus, il cite ces travaux de Harvard révélant que les candidats qui ont négocié la première offre sont plus satisfaits, car ils ont l’impression d’être vraiment désirés. Et c’est pareil pour l’entreprise qui est satisfaite d’avoir signé un candidat qui a prouvé avoir une bonne valeur sur le marché. Tout cela contribuerait à une meilleure intégration.

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Quand la transparence change les règles du jeu

Mais à l’heure de la transparence, la négociation aura-t-elle toujours la cote dans les prochaines années ? Head of People chez Avizio, Calixte Bonnet Saint Georges estime qu’avec les évolutions actuelles, et notamment la nouvelle Directive européenne exigeant la mise en place de grilles de rémunération transparentes, la négociation va avoir de moins en moins lieu d’être. « On sait que la négociation est un facteur de discrimination Hommes/Femmes (56% des hommes se sentent à l’aise pour négocier leur salaire contre 36% des femmes, étude Robert Half, ndlr). Pour un poste de RH ou de responsable diversité, je pense donc que ce n’est pas une posture adaptée », affirme-t-il. Pour lui, si l’écart entre les prétentions salariales et l’offre est trop grand, c’est tout simplement qu’il ne s’agit pas d’un bon match.

Négo-zone : quelques red flags à éviter

Outre la capacité à s’adapter à un secteur ou une culture d’entreprise - ce qui témoigne d’une forme d’intelligence relationnelle - la manière de négocier peut aussi révéler des traits de personnalité. Et parfois, cela peut desservir le candidat.

Dans la série des red flags à éviter, Céline Douguet, fondatrice d’Adity, pointe l’erreur ultime : revenir sur ses prétentions salariales initiales en les revoyant à la hausse. « C’est très mal vu. De même, j’ai déjà eu un candidat qui surnégociait en se plaçant 10K au-dessus de l’équipe, estimant qu’il était bien meilleur qu’eux. Cela n’augure rien de bon pour l’intégration au collectif », estime-t-elle.

Dans la série des faux pas à éviter, il faut aussi se garder de calculer ses prétentions salariales sur des critères non professionnels comme son loyer ou le nombre de personnes à charge dans son foyer. « De la même façon, s’appuyer sur l’école que l’on a faite pour demander tel salaire tout juste diplômé témoigne d’une incapacité à construire un bon argumentaire », ajoute Jean Cassagne, Talent acquisition chez Levio à Montréal.

Enfin, une personne qui négocierait trop durement pourrait révéler son « manque de souplesse et d’humilité », selon Calixte Bonnet Saint Georges. Un point de vue partagé par Michael Obadia qui se souvient d’un candidat bulldozer : « l’entreprise avait accepté de concéder certains avantages, mais il en demandait toujours plus, alors le process a été stoppé ». En plus de témoigner d’une incapacité à trouver un terrain d’entente en bonne intelligence, cela faisait craindre au recruteur que ce candidat change de job à la moindre occasion.

Qui ne dit mot consent ?

Si négocier en mode rouleau compresseur n’est pas la meilleure stratégie à adopter, que dire d’une personne qui ne négocierait… pas du tout ? Pour Céline Douguet, « cela n’est ni bon ni mauvais en soi ». Ce qui importe, c’est de creuser la raison de ce silence : la personne est-elle bien au courant de la valeur de ses compétences sur le marché, ou fait-elle montre d’un manque de curiosité ? Si le candidat est capable d’expliquer pourquoi il estime que ce salaire est le bon, il n’y a pas de raison de considérer cette absence de négociation comme problématique. Jean Cassagne nous raconte aussi rencontrer des personnes qui sont tout à fait à l’aise avec le fait de gagner moins, soit parce qu’elles sont conscientes de ne pas être des top performeurs et ne souhaitent pas trop de pression (et c’est OK parce que tous les postes ne nécessitent pas d’être un cheval de course), « ou encore parce qu’elles sont dans une situation personnelle particulière ou ont des idéaux leur faisant préférer un bas salaire dans le public qu’un poste plus lucratif dans le privé. » En revanche, si le recruteur sent poindre de la frustration derrière ce silence, « cela peut dénoter d’une difficulté à s’affirmer qu’il peut être préjudiciable sur certains postes », pointe Calixte Bonnet Saint Georges.

Trouver le juste équilibre

Au final, négocier juste, c’est donc s’adapter à son interlocuteur en fonction de sa culture d’entreprise, s’informer sur les grilles en interne, connaître sa valeur sur le marché et être capable de défendre son point de vue avec un argumentaire constructif, être force de proposition dans la négociation et faire preuve de souplesse quand il le faut, quitte à lâcher pour préserver une bonne image de soi quand les deux parties ne peuvent pas s’entendre.

Article édité par Manuel Avenel, Photographie par Thomas Decamps

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