Corinne Lacoste, entrepreneuse enthousiaste au-delà du handicap

13 jun 2019

7 min

Corinne Lacoste, entrepreneuse enthousiaste au-delà du handicap

Corinne Lacoste a été successivement vétérinaire, journaliste et animatrice TV. Puis, elle a travaillé dans une agence de stratégie de communication et marketing. C’est alors qu’à 48 ans, atteinte d’une surdité profonde apparue au fil du temps, qu’elle décide de lancer avec Laura Guillemin Chic des Plantes !, une marque d’infusions bio et made in France. Depuis 2015, malgré une carte d’invalidité à 80%, Corinne entreprend, créé, commercialise, développe le réseau de cette belle entreprise au succès grandissant. Rien ne viendra freiner son élan et ses idées. Nous lui avons posé des questions sur son parcours insolite, les débuts de son entreprise et le sens qu’elle donne à son travail.

Vous avez été vétérinaire, journaliste, communicante et êtes aujourd’hui entrepreneur : qu’est-ce qui vous motive à changer de métier ?

Mon vrai moteur, c’est l’envie. Sur chaque projet et à chaque moment, je souhaite apporter la meilleure expertise possible. Pour y parvenir, il m’a toujours semblé essentiel d’être en phase avec mes compétences et mes aspirations. Je fais confiance à mon intuition et je suis ouverte aux opportunités que je n’ai pas peur de saisir.

Je fais confiance à mon intuition et je suis ouverte aux opportunités que je n’ai pas peur de saisir.

Que retenez-vous de chacun de ces changements ?

Sur la durée, j’ai appris à travailler en équipe et à aimer ça, ce qui n’était pas une chose évidente pour moi au départ, plutôt indépendante et autonome. Je me suis vraiment rendue compte de l’importance de cette notion de team, prépondérante aujourd’hui chez Chic des Plantes !

À chaque virage professionnel, j’ai appris à mieux manager, à transmettre, je l’espère, l’enthousiasme aux équipes et à les aider à étendre leur zone de confort en donnant aussi l’exemple. Aujourd’hui, nos rôles de co-fondatrices avec Laura sont très axés sur ce travail collaboratif et le partage d’expériences.

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Vous avez suivi l’Executive MBA du Celsa La Sorbonne, pourquoi était-ce important pour vous d’obtenir ce diplôme ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

L’Executive MBA du Celsa La Sorbonne est arrivé complètement par hasard – mais parfaitement au bon moment - dans mon parcours professionnel. J’ai eu un coup de foudre pour ce programme généraliste, je me suis dit « c’est pour moi ! »

J’ai passé 18 mois à apprendre les composantes de l’opérationnel d’une entreprise : la communication, le marketing, la finance, la stratégie, les ressources humaines avec de nombreux cas pratiques et une promo extraordinaire dont beaucoup d’élèves sont restés de très bons amis, avec qui on networke très régulièrement. L’apport d’un MBA à un cursus est génial : il apprend à prendre de la hauteur, mesurer ses choix, il aide à décider. Il donne aussi le goût de l’entrepreneuriat et structure une ambition professionnelle.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’entreprendre ?

Là aussi, je ne me suis pas levée un matin en me disant « je vais entreprendre ». C’est plutôt l’idée que j’ai eue autour du revival de la tisane qui m’a animée. Je trouvais son image désuète et franchement ennuyeuse. J’y ai réfléchi, l’idée avait du potentiel… donc je ne me suis pas vraiment posé de questions, j’y suis allé !

Je ne me suis pas levée un matin en me disant « je vais entreprendre ». C’est plutôt l’idée que j’ai eue autour du revival de la tisane qui m’a animée.

Comment avez-vous rencontré votre associée ?

Je réfléchissais à la façon dont je pourrais creuser l’idée de ce revival de la tisane et via mon réseau, j’ai eu la chance de croiser Laura qui cherchait à ce moment-là un projet entrepreneurial. Nous avons structuré les choses, eu mille idées pour finalement se concentrer sur un projet autour d’infusions de haute qualité, 100% bio, fabriquées en France sans aucun arôme ajouté. On s’est fait plaisir sur la DA, l’éditorial, on a réuni trois experts (chef, aromaticienne et pharmacien botaniste) pour nous aider à créer des mélanges « jamais bus » et voilà, le projet Chic des Plantes ! était lancé en octobre 2015 ! Sans Laura, le projet Chic des Plantes ! n’existerait tout simplement pas.

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Comment vous répartissez-vous les tâches aujourd’hui ?

La force de notre association repose sur deux fondations : nous partageons la même vision court, moyen et long terme sur la marque, son positionnement et sa distribution. C’est quelque chose de très naturel et c’est une chance inouïe parce que nous ne passons pas notre temps à tenter de se convaincre l’une l’autre de choses évidentes.

Ensuite, nous avons des rôles bien définis : Laura structure l’amont (logistique, fournisseurs, production, experts…) et gère les gros dossiers opérationnels lorsque je suis plutôt aval (communication, DA, marketing). Laura manage les équipes et quant à moi, j’essaye de rallier le plus de monde possible au projet Chic des Plantes ! et de développer le réseau de networking. Et toutes les deux, nous sommes très investies dans le développement commercial. On y passe facilement 70% de notre temps. Et on adore ça !

La force de notre association repose sur deux fondations : nous partageons la même vision court, moyen et long terme sur la marque, son positionnement et sa distribution.

Comment se sont passés les débuts de Chic des Plantes ! ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Le mot « difficulté » m’est un peu étranger. Je fonctionne plus au « challenge ». Alors oui, les challenges sont quotidiens. Il faut faire connaître sa marque au lancement, personne ne nous attend ! Mais avec de l’humour, de l’envie, un peu de culot parfois et toujours beaucoup de bienveillance, on parvient souvent à lever les obstacles. Le gros challenge au démarrage a été de trouver le bon modèle d’affaires. Très vite, nous avons compris l’opportunité d’un développement en réseau professionnel (épiceries, spas, hôtels, restaurants, bureaux…), en B to B. On ne vend pas un simple sachet avec des plantes, mais un moment pour soi, savoureux et bienfaisant !

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Comment vos expériences passées vous ont-elles aidées dans l’aventure Chic des Plantes ! ?

Chaque expérience professionnelle m’aide dans mon quotidien chez Chic des Plantes ! Les études véto m’ont appris la rigueur, la discipline et la force de travail qui donnent par la suite une vraie souplesse et agilité. Être vétérinaire, c’est savoir faire beaucoup de choses à la fois (de la chirurgie, de la médecine, du management, de la psychologie…). C’est aussi faire appel à son intuition et son expérience pour soigner au mieux les animaux. Le journalisme, c’est pour moi le plaisir d’écrire et de créer. La communication culturelle, dans le cadre où je l’ai pratiquée, m’a appris à mieux comprendre les ressorts d’une équipe et m’a initié au management. De chaque expérience, je retire l’importance d’être agile, souple, adaptable, à l’écoute et surtout de savoir décider. L’importance de la décision est clé.

Votre handicap a-t-il été un frein ? Un moteur ?

Je crois que le plus important est la façon de vivre un handicap et non pas le handicap en lui-même. Être sourde n’est certainement pas un frein. Ni un moteur d’ailleurs. C’est la manière dont j’ai envie de le vivre qui importe. La distinction est importante. J’ai donc appris à composer avec mon handicap et à le vivre de façon tout à fait naturelle.

D’un point de vue personnel, sans doute que ma surdité m’a rendue plus persévérante que d’autres, mais c’est difficile de le savoir… Ce qui est certain, c’est qu’avec un sens en moins, on en développe très vite d’autres. Enfin, dans le milieu entrepreneurial, le handicap est associé à cette capacité à “pouvoir faire” malgré tout, qui est très importante. Beaucoup de personnes m’ont confié qu’en voyant de quoi j’étais capable, elles se sont demandées pourquoi, elles, n’y arriveraient-elles pas.

Je crois que le plus important est la façon de vivre un handicap et non pas le handicap en lui-même.

Comment vivez-vous votre surdité dans le milieu professionnel ?

Pour bien comprendre mon interlocuteur, j’ai besoin de lire sur les lèvres. En réunion, comme à chaque moment dans ma vie personnelle, je suis en écoute active. C’est à dire que je suis en permanence à la pêche au moindre mot et à la moindre phrase pour comprendre le sens de ce que l’on me dit. Mon équipe est géniale, elle est très attentive. Elle sait que j’ai besoin de lire sur les lèvres, donc en réunion, on ne se coupe pas la parole.

Lorsque je suis en rendez-vous avec les clients, je ne leur dévoile bien sûr pas mon handicap car c’est mon intimité, c’est de la pudeur. Je dois donc bien surveiller mon interlocuteur pour ne pas repérer de moue étonnées ou agacée qui pourraient suivre un petit couac auditif… Quand je vois que ça bloque, je l’explique tout simplement. Les gens sont très compréhensifs. Et depuis quelques mois, je téléphone avec l’application RogerVoice, ça a changé ma vie professionnelle. Grâce à la reconnaissance vocale, RogerVoice écrit instantanément les paroles de mon interlocuteur lorsqu’il me répond.

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Quel sens donnez-vous à votre travail, et au travail en général ?

Mon job a toujours été pour moi une source de réel plaisir et d’épanouissement, je ne l’ai jamais conçu autrement. L’entrepreneuriat est le volet le plus exigeant que je connaisse. Il faut être couteau suisse en permanence mais, en même temps, prioriser, savoir convaincre. Il faut aussi apprendre vite - mais alors très vite - de ses erreurs et porter une vision pérenne et pertinente sur son marché et son projet en particulier.

C’est donc un sacré marathon au quotidien qui dure des mois et parfois des années. Pour cela, l’équilibre personnel est évidemment essentiel ! J’ai deux (grands) enfants à qui je continue de consacrer beaucoup de temps, je suis fan de yoga, de lecture, de gastronomie. J’ai la chance d’avoir des amis fidèles et bienveillants et une famille sur qui je peux compter. J’ai aussi démarré le kite surf, rien de mieux pour déconnecter et il n’y a pas meilleure leçon d’humilité et de persévérance que ce sport.

Mon job a toujours été pour moi une source de réel plaisir et d’épanouissement, je ne l’ai jamais conçu autrement.

Que pourriez-vous dire à des personnes qui voudraient se reconvertir pour leur donner confiance ou les éclairer ? Et à ceux qui voudraient monter leur entreprise, même avec un handicap ?

Mon conseil est valable à tout le monde : il faut bien se connaître, c’est fondamental. Quelles sont vos limites, vos envies, vos compétences ? Le désir de reconversion est-il mû par l’envie de quitter une voie professionnelle ou par la volonté d’en explorer une nouvelle spécifique ? Ce n’est déjà pas la même chose. Pour ceux qui veulent entreprendre, handicap ou non, quel est le sens de votre engagement entrepreneurial ? C’est important aussi d’avoir un entourage en accord avec son projet. Et à un moment, voilà, il faut y aller !

À mon sens, trop de réflexion nuit à l’action. Mais qui dit vitesse ne dit pas non plus précipitation. Il faut bien avoir en tête l’idée du marathon, ne pas s’épuiser trop vite, savoir (bien) se ressourcer et savourer chaque petit succès en tentant de contourner chaque (petit) obstacle.

Par ailleurs, il n’y a pas qu’un seul handicap, comme il n’y a pas une seule surdité, donc je ne peux pas parler au nom de tous. À quel point le handicap serait-il déstabilisant dans sa fonction exercé ? Cela va-t-il m’empêcher de faire du business ?

Le plus important peut-être est tout simplement de croire en soi, car personne ne le fera mieux que soi-même !

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Photo d’illustration by WTTJ

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