L'été où j'ai décidé que les CDI et moi, c'était fini !

26 jul 2018

4 min

L'été où j'ai décidé que les CDI et moi, c'était fini !
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Chaque semaine cet été, retrouvez une histoire estivale de bureau. Pour cette quatrième chronique, notre journaliste nous raconte comment elle a décidé, grâce à une rencontre professionnelle ratée, que les CDI n’étaient définitivement pas faits pour elle. Car, finalement, si l’indépendance n’est pas faite pour tout le monde, pourquoi les contrats longue durée devraient rester la norme ?

CDI. Ces trois lettres font encore rêver.

Dans le monde du travail, pour beaucoup d’entre nous c’est le Graal. Mais pas pour moi. J’ai mis un an et un été pour le comprendre. Des mois à essayer de rentrer dans des moules qui me semblent obsolètes et non adaptés à ma génération.

Depuis mes premiers jobs, je papillonne. Deux mois dans les Pyrénées-Atlantiques, des contrats journaliers à Toulouse, des CDD à Nantes, Aix-en-Provence, Clermont-Ferrand, une escapade à Paris, un petit contrat en Savoie… Je n’ai jamais travaillé plus de six mois au même endroit. J’avoue, le style working-backpacker, toujours entre deux gares, avec des vêtements froissés, est parfois fatiguant. Il faut faire ses valises, trouver un endroit où dormir, prendre ses repères sur un territoire inconnu… Mais c’est tellement excitant ! À chaque nouveau déplacement, l’appel du grand large ! Le plaisir de la découverte, de nouveaux collègues, toujours apprendre et élargir ses compétences. Nouveautés, nouveautés, nouveautés !

Je suis passionnée par mon travail. Ce n’est pas lui qui me lasse… ce sont les boîtes dans lesquelles je l’exerce.

Je suis allergique à la routine. Au bout de deux mois de poste dans la même entreprise, ma motivation baisse… et mon efficacité aussi. J’ai envie de changement en permanence et ne me sens pas à l’aise, enchaînée à un contrat de longue durée. Mais à l’époque, je n’en avais pas encore conscience. Je me demandais pourquoi je n’arrivais pas à me stabiliser, pourquoi l’idée même des CDD et CDI m’angoissait. Je n’arrivais pas à m’imaginer dans une seule entreprise pendant plusieurs années… Était-ce moi qui n’arrivais pas à m’adapter au marché du travail ? Ou ne seraient-ce pas les contrats qui ne sont pas adaptés à ma vision du travail… à ma génération des 25-30 ans qui n’a pas encore envie de se poser et rêve d’aventures ? J’ai continué à postuler pour des contrats à durée déterminée… jusqu’à ce que l’été du salut arrive enfin !

Était-ce moi qui n’arrivais pas à m’adapter au marché du travail ? Ou ne seraient-ce pas les contrats qui ne sont pas adaptés à ma vision du travail ?

Je dois ma prise de conscience à une peau de vache. Une boss prétentieuse et irrespectueuse grâce à qui j’ai compris que les contrats de longue durée ne sont pas faits pour moi. Nous avons rendez-vous dans son bureau, pour discuter des missions à la journée qu’elle me propose, des “piges” dans le jargon de l’emploi. J’annonce clairement que j’ai d’autres engagements pour l’été dont je dois m’acquitter mais que je peux me dégager du temps pour elle. J’accepte donc le deal. Mais voilà qu’elle s’enflamme : « Nous sommes une boite qui recrute vous savez ! En CDD et même en CDI ! » Elle pense avoir lancé un appas… et que je vais mordre à l’hameçon. Mais mes mains deviennent moites, je lutte pour ne pas laisser transparaître l’angoisse qui monte en moi… et fais mine d’avoir entendu une bonne nouvelle. Mais c’était un piège.

Je dois ma prise de conscience à une peau de vache.

Lorsque j’appelle la peau de vache la semaine d’après pour revoir avec elle mon emploi du temps, voilà qu’elle s’énerve : « Je pensais que vous étiez libre ?! Vous m’aviez dit que vous n’aviez pas d’autre contrat ! » Je lui explique à nouveau calmement que, avant notre rencontre, je n’étais pas au chômage et que j’avais donc d’autres missions à terminer avant d’embrayer sur un contrat avec elle. Et voilà qu’elle explose à l’autre bout du téléphone : « Vous vous prenez pour qui ? Je vous accueille, pour vous former et vous offrir un job et vous voulez que je m’adapte à votre emploi du temps ? C’est du jamais vu ! En plus, j’apprends qu’un CDD à plein temps ne vous intéresse pas ! C’est gonflé ! » Je m’étonne encore du courage que j’ai eu à ce moment-là. Ignorant ce que je qualifie d’insolence, je répondais : « Madame. Je ne suis jamais venue vous voir dans l’intention d’obtenir un CDD. Vous aviez évoqué la possibilité d’en conclure un, mais je ne vous ai jamais dis que j’accepterai. Si je suis indépendante, c’est justement pour pouvoir gérer mon emploi du temps comme je l’entends. Je suis donc libre d’accepter ou de refuser ce que vous me proposez. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de CDD ou de CDI, que je dois pleurer pour avoir du travail. Être travailleur indépendant n’est pas un statut par défaut. » Je l’avais scotchée… S’en est suivi un long, très long silence, avant qu’elle ne conclue : « Si c’est comme ça, il vaut mieux arrêter là tout de suite._» « _Oui, arrêtons là. » Je venais de me faire larguer par une boss que je n’aimais pas ! J’étais de nouveau célibataire ! Prête à jouer avec le Tinder de l’emploi.

Ce n’est pas parce que je n’ai pas de CDD ou de CDI, que je dois pleurer pour avoir du travail. Être travailleur indépendant n’est pas un statut par défaut.

Je m’amuse du champs lexical des relations amoureuses, employé par cette peau de vache pour parler travail. Comme pour me culpabiliser d’être volage et de ne pas vouloir qu’un seul boss à la fois. Serait-elle jalouse ? Possessive ? La vérité n’est pas loin. Elle pensait être en position de supériorité, en me faisant miroiter le Graal du CDI. Le contrat qui déterminerait une relation exclusive et durable entre elle et moi. Mais même si le job ne me déplaisait pas, je n’aurais certainement pas tenue longtemps sous la direction de cette femme.

L’été passa, fait de petites missions courtes à droite à gauche, comme je les aime. Je n’ai plus jamais postulé à des postes en CDD et CDI. Aujourd’hui, j’assume de choisir la « précarité », comme on le nomme péjorativement dans le monde du travail. Je privilégie les boss qui me respectent et avec qui je m’entends bien. Ceux qui arrivent à me faire progresser, qui m’encouragent dans mon indépendance et qui comprennent mon rythme de vie. Aujourd’hui, j’assume d’organiser mon emploi du temps comme je le souhaite, pour gagner, financièrement, seulement ce dont j’ai besoin. Je ne dis pas que l’indépendance est faite pour tout le monde, mais je ne comprends pas pourquoi ce sont les contrats longue durée qui restent la norme, à l’heure où une bonne partie de ma génération rêve de voyages et d’aventures.

Peut-être qu’un jour, moi aussi je voudrais me poser ? Mais pas encore… pour l’instant, je préfère la liberté à la stabilité.

Photo by WTTJ

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