Faire de Paris une ferme : le quotidien unique des Bergers Urbains

24 janv. 2019

8min

Faire de Paris une ferme : le quotidien unique des Bergers Urbains

Lundi matin, il est 8h30 et vous descendez du métro au terminus de la ligne 12 pour suivre la masse, encore endormie, des actifs parisiens. Après avoir monté l’escalator donnant sur la place du Front Populaire, vous émergez des sous-sols parisiens. Sur votre gauche, un marchand de fruits, en face de vous, des ouvriers qui s’éveillent autour de leur premier café et sur votre droite, un mouton… Un mouton ? Non, un troupeau de moutons ! Et ils ne sont pas seuls : trois personnes semblent les accompagner jusqu’à l’espace vert au milieu de la place. Une fois installés, les moutons entament leur petit-déjeuner sans perdre de temps tandis que les trois bergers se dirigent vers un café à proximité pour se réchauffer autour d’une tasse de thé.

Le métro ne vous a pas transporté en pleine campagne française, vous venez tout simplement de croiser des Bergers Urbains. Et nous avons eu la chance d’en rencontrer les deux fondateurs : Guillaume Leterrier et Julie Lou Dubreuilh, également à l’origine de l’association Clinamen, dont l’activité principale est l’expérimentation autour de l’agriculture urbaine.

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter ?

Guillaume : Moi c’est Guillaume Leterrier, je viens de Cherbourg et je suis venu à Paris pour trouver un emploi et faire de l’argent dans le secteur tertiaire, loin de l’agriculture et de la “boue”, ce n’était pas mon truc. J’ai commencé dans le Conseil en devenant Développeur Territorial dans l’économie sociale et solidaire. En gros, je travaillais dans l’animation et la pérennisation des emplois dans les secteurs non-marchands, en particulier la culture, l’éducation et l’environnement.

Julie : Moi, je viens du Sud-Ouest où j’ai commencé des études d’architecture sans les terminer. J’ai ensuite travaillé dans le BTP, directement sur les chantiers, et un jour, des copains de copains m’ont demandé de les dépanner pour construire une bergerie pour 8 moutons qui allaient passer l’hiver dehors. J’ai accepté. C’est comme ça que j’ai accroché au projet et que j’ai fait connaissance avec Guillaume.

Comment êtes-vous devenus Bergers Urbains ?

Julie : Je n’ai aucun parent ou grand-parent dans l’agriculture, donc comme beaucoup de monde, je me faisais toute une idée du métier d’agriculteur. Je m’imaginais des charges de travail bien trop lourdes en comparaison avec les revenus associés. Ça ne me faisait pas du tout rêver. Mais finalement dans mon activité sur les chantiers, j’ai constaté que ça n’était pas si terrible que ça. J’ai aussi une grande passion pour la cuisine et travailler dans l’agriculture permet d’avoir un accès facile à des produits de bonne qualité. J’ai donc choisi de changer de voie et de rejoindre l’aventure des Bergers Urbains. Il y a aussi ce sentiment de liberté, propre au métier de berger, dont je ne peux plus me passer aujourd’hui. Tout peut arriver, je peux survivre seule en toute autonomie.

« Il y a ce sentiment de liberté, propre au métier de berger, dont je ne peux plus me passer aujourd’hui. Tout peut arriver, je peux survivre seule en toute autonomie. »

Guillaume : C’est en accompagnant l’association La Ferme du Bonheur, il y a 15 ans, que j’ai découvert l’impact du mouton en ville à travers divers projets, majoritairement dans l’événementiel. Lors d’un spectacle dans une cité, j’ai vraiment pu constater combien l’animal, d’un seul coup, pouvait recréer du lien là où il avait complètement disparu.

À partir de là, j’ai mis les mains dans un engrenage qui m’a amené à réfléchir à comment on pourrait faire de l’agriculture à l’intérieur de la ville pour rapprocher les gens. Et en même temps, en constatant que les communautés territoriales avaient de moins en moins d’argent et que les budgets cultures ne pourraient pas nous assurer une pérennité, nous avons commencé à réfléchir à utiliser des moutons pour la gestion des espaces verts.

« J’ai mis les mains dans un engrenage qui m’a amené à réfléchir à comment on pourrait faire de l’agriculture à l’intérieur de la ville pour rapprocher les gens. »

Nous nous sommes donc tournés vers les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales et les entreprises et à notre grande surprise, ce sont les entreprises qui ont joué le jeu en premier avec des boîtes comme Veolia et Icade par exemple. Les collectivités territoriales nous ont ensuite ouvert les bras, après avoir constaté que le modèle fonctionnait avec les entreprises.

Aujourd’hui, ça marche bien, nous faisons donc de l’animation de ces espaces, avec un berger qui déplace ses moutons pour faire de l’agriculture à l’intérieur de la ville, sans pour autant privatiser de l’espace vert.

Êtes-vous à plein temps sur cette activité ? À quoi ressemble vos journées ?

Guillaume : Il n’y a vraiment pas de journée type pour nous ! Nous nous occupons de la gestion de l’emploi du temps de nos bergers bénévoles, du soin de nos animaux et de nos bâtiments et de la prospection auprès de collectivités et d’entreprises. Ce qui ne nous empêche pas de continuer à pratiquer notre activité de berger.

Le reste de notre temps, nous l’allouons à l’association Clinamen, sur de l’expérimentation dans l’agriculture urbaine, avec la gestion de nos 900 bénévoles et la mise en place de maraîchage (cultures agricoles, ndlr) et d’animaux.

« Nous nous occupons de la gestion de l’emploi du temps de nos bergers bénévoles, du soin de nos animaux et de nos bâtiments et de la prospection auprès de collectivités et d’entreprises. »

Conseilleriez-vous ce métier ?

Guillaume : Oui, évidemment, parce qu’en ce qui nous concerne, on aime beaucoup ce qu’on fait, sinon on ne le ferait pas ! Il faut juste être prêt à changer complètement de paradigme : notre activité se rapproche beaucoup de l’artisanat, c’est un métier assez physique, où l’on est beaucoup à l’extérieur et il n’y pas de jour off, il faut toujours se relayer pour prendre soin des cultures et des animaux. Mais ce n’est pas un inconvénient, au contraire, nous sommes dehors tout le temps, au contact de la nature et nous rencontrons beaucoup de monde.

« Notre activité se rapproche beaucoup de l’artisanat, c’est un métier assez physique, où l’on est beaucoup à l’extérieur et il n’y pas de jour off, il faut toujours se relayer pour prendre soin des cultures et des animaux. »

Certains matins, l’hiver par exemple, il nous arrive de rechigner à la tâche, mais il faut le faire et dès qu’on croise les premiers curieux qui viennent nous poser des questions, le sourire revient rapidement. C’est un des autres avantages de notre métier : les gens ont un bon regard sur ce qu’on fait. Evidemment, nos revenus sont bien moins importants que dans le tertiaire. En ce qui me concerne, je gagnais bien ma vie dans le Conseil mais je me sens mieux aujourd’hui ; mon métier a plus de sens.

« Je gagnais bien ma vie dans le Conseil mais je me sens mieux aujourd’hui ; mon métier a plus de sens. »

À quels enjeux répondez-vous ?

Guillaume : Le mouton n’est pas la tondeuse de demain. Pourtant, un mouton pour la gestion des espaces verts, ce n’est pas forcément moins cher qu’un jardinier, mais il présentera plus de fonctions que juste s’occuper de la pelouse.

Pour une entreprise par exemple, le mouton va permettre de valoriser les politiques RSE, d’obtenir un véritable jardin écologique au pieds des bureaux et d’animer la routine des bureaux. C’est assez comique parce que dès que les moutons passent devant le bâtiment, c’est la pause pour tout le monde ! Les employés se ruent aux fenêtres pour regarder et prendre des photos.

Quand aux bailleurs sociaux et aux collectivités territoriales, ils sont intéressés par la valorisation d’une production de viande respectueuse de l’animal et de l’environnement, mais aussi par l’animation et la sensibilisation de leurs occupants et habitants sur des sujets environnementaux comme le gaspillage ou le jet d’ordure par exemple. Certaines collectivités territoriales veulent également mettre en place leur propre troupeau, nous faisons donc des prestations de conseil, de formation et d’accompagnement.

« Le mouton va permettre de valoriser les politiques RSE, d’obtenir un véritable jardin écologique au pieds des bureaux et d’animer la routine des bureaux. »

Pourquoi le mouton ?

Guillaume : Le mouton est vraiment l’animal de ferme le plus facile à domestiquer. Nos moutons sont des Bleus du Maine, ils sont considérés comme la “Rolls Royce du mouton” : ils sont très lourds - presque 60 kilos - et ils avancent très lentement, c’est plus pratique quand il s’agit de leur courir après. Ils peuvent reconnaître jusqu’à 200 visages et ils n’aiment ni attendre, ni prendre des chocs.

« Nos moutons sont des Bleus du Maine, ils sont considérés comme la “Rolls Royce du mouton”. »

Pendant des centaines d’années, les parcs des châteaux étaient entretenus par des moutons. C’est d’ailleurs pour cela qu’on dit que le mouton “jardine”, parce qu’il n’arrache pas ce qu’il mange, il coupe à ras et fait la première taille. Ils faisaient le gros du travail et les jardiniers n’avaient plus qu’à faire la finition. Et le fait d’être en ville n’a aucun impact sur la santé de l’animal. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, toutes les problématiques de pollution en ville sont moins importantes qu’à la campagne. En ville, nous avons la pollution aux métaux lourds dans l’air mais à la campagne, il y a les pesticides et les pluies d’acides.

Hormis ces aspects d’animation, de sensibilisation et de gestion des espaces verts, quelles sont les autres activités des Bergers Urbains ?

Guillaume : Nos moutons sont destinés à la viande, comme tous les moutons, à la différence qu’ils ont une vie bien plus douce que dans des fermes industrielles aux milles moutons qui ne fouleront jamais de l’herbe fraîche. Les moutons ont été créés par l’homme, à partir de mouflons, et ils ne peuvent pas revenir à l’état sauvage après deux mille années de domestication. Un mouton qui vieillit, va perdre ses dents et se retrouver dans l’incapacité de se nourrir, pour finalement mourir de faim.

En ville, on a paradoxalement un élevage bien plus vertueux qu’à la campagne. C’est pourquoi une grande partie de notre clientèle sont des chefs de grands restaurants gastronomiques français, qui sont prêts à payer le prix fort pour une viande de cette qualité.

Il y a 1% d’agriculteurs en France et si on était tous 1% agriculteur, cela nous permettrait de nous interroger sur comment on produit et sur ce qu’on retrouve dans nos assiettes. Nous, ce qui nous intéressait, c’était de faire du participatif et du contributif en permettant à des citadins de se tourner vers de la production artisanale pure et dure, quelque soit la couche sociale.

« Il y a 1% d’agriculteurs en France et si on était tous 1% agriculteur, cela nous permettrait de nous interroger sur comment on produit et sur ce que l’on retrouve dans nos assiettes. »

Comment êtes-vous organisés aujourd’hui ?

Guillaume : Il y a d’un côté l’association, qui fonctionne uniquement avec des bénévoles, et il y a les Bergers Urbains qui vont louer les moutons à l’association en fonction des prestations demandées. Aujourd’hui, nous avons une trentaine de bénévoles qui s’occupent de sortir les moutons pendant quatre heures, tous les jours sur le parc Georges-Valbon, à la Courneuve . On est plutôt chanceux, parce que peu d’agriculteurs ont 400 hectares de terrain sans glyphosate devant eux…

Comment devient-on Berger Urbain ? Et qui veut devenir Berger Urbain ?

Guillaume : Il suffit d’appeler l’association et de venir une fois, deux fois ou trois fois par mois, sortir les moutons avec un berger bénévole confirmé pour apprendre le métier. Nous formons nos Bergers Urbains sur le tas, un peu comme nous avons appris nous-mêmes à l’être ! Puis, si nos bergers bénévoles sont assidus, ils peuvent prendre une partie de la viande produite après un an de bénévolat. On a de tout : aussi bien des publics populaires qui veulent manger de la viande, que des gens qui veulent passer un peu de temps au contact des animaux. Pas mal de retraités aussi car ça leur permet de créer du lien avec les dizaines de curieux qui viennent les interroger au sujet des moutons.

« Nous formons nos Bergers Urbains sur le tas, un peu comme nous avons appris nous-mêmes appris à l’être ! »

Certaines personnes, parfois de classes aisées, qui veulent tout plaquer et devenir berger ou maraîcher, viennent aussi chez nous pour avoir un avant-goût du métier. Généralement, ils se rendent compte que rien que sortir des moutons, c’est déjà très fatiguant et ça les fait réfléchir. On leur évite de franchir le pas avant qu’il soit trop tard et on les stimule à réfléchir à de nouveaux modes de production pour retravailler leur projet de départ.

Quelle est la prochaine étape pour les Bergers Urbains ?

Julie : Nous voulons développer encore plus notre activité de production de viande de qualité en continuant de faire de la gestion et de l’animation d’espaces verts. Il y a une vraie demande à ce niveau-là étant donné que les gens sont de plus en plus sensibilisés aux enjeux de maltraitance animale et à la qualité des produits qui se retrouvent dans leurs assiettes. L’enjeu aujourd’hui, alors que les parcelles agricoles disparaissent à la campagne, c’est de réussir à créer de la surface agricole en ville.

Guillaume : Faire de l’agriculture, même lorsqu’elle est urbaine, c’est avant tout produire.

« Faire de l’agriculture, même lorsqu’elle est urbaine, c’est avant tout produire. »

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