Le brainstorming : perte de temps ou gage de créativité ?

26 mars 2018

6min

Le brainstorming : perte de temps ou gage de créativité ?
auteur.e
Cécile Nadaï

Fondatrice de Dea Dia

Le brainstorming est une technique qui consiste à trouver un maximum d’idées en un minimum de temps grâce à l’émulation produite par l’effet de groupe. Brainstormer consiste donc à chercher ensemble des idées.

Mais comment s’y prendre pour brainstormer de manière efficace ? Le point sur une technique dont tout le monde a déjà entendu parler mais qui est bien souvent dévoyée ou jugée inefficace car méconnue et mal utilisée…

Un peu d’histoire et d’étymologie

Des origines militaires

Si la traduction littérale du mot « brainstorming » fait penser à l’expression française « remue-méninges », et à l’idée de « tempête dans le cerveau », en réalité, cette expression vient du vocabulaire militaire, « storm » signifiant alors « prise » ou « prise d’assaut » et non tempête. Ainsi, « storm a place » signifie attaquer un lieu de manière stratégique, c’est-à-dire ensemble, de façon groupée et organisée.

Cette nuance peut sembler anecdotique mais elle est en fait très importante car elle change totalement la perception qu’on peut avoir du fait de brainstormer : il ne s’agit pas de créer un joyeux bordel dans les cerveaux en espérant en tirer quelque chose de créatif mais au contraire de s’attaquer à une problématique de manière coordonnée, en ayant au préalable étudié la meilleure stratégie à adopter pour atteindre son objectif.

Une idée de publicitaire

Le brainstorming a été mis au point dans les années 1940 par Alex Osborn, publicitaire new-yorkais, vice-président de l’agence de publicité américaine BBDO. Lors de réunions de travail avec ses équipes créatives, il s’était rendu compte qu’ils passaient plus de temps à critiquer les idées énoncées qu’à en proposer de nouvelles, ce qui n’aboutissait à rien de concret. Il a donc imposé une nouvelle manière d’organiser les réunions créatives divisées en deux temps :

  • Un premier temps consacré à l’énonciation d’idées de toutes sortes avec interdiction de critiquer ou de dénigrer les propositions.
  • Puis un deuxième temps consacré à l’analyse de toutes les idées proposées.

En 1948, ce dernier formalise le concept de brainstorming et la manière de l’utiliser dans son livre Your creative Power. Son concept va peu à peu se répandre aux États-Unis puis en Europe. Au fil des décennies, sa technique évoluera souvent, prenant d’autres noms comme le Creative Problem Solving, qu’il développera dans les années 1960 et présentera comme une version améliorée du brainstorming. Mais le concept de brainstorming reste, encore aujourd’hui, majoritairement utilisé dans de nombreuses entreprises.

Les doutes autour du concept

Dès les années 1950, des doutes sont apparus quant à la réelle efficacité du brainstorming. Si Osborn estimait que cette technique pouvait accroître la créativité d’un groupe de travail, les premiers résultats mesurables tendaient à démontrer le contraire.

Auto-censure et cacophonie

On remarque notamment que l’effet de groupe n’a pas forcément d’effets positifs, que ce soit sur le nombre d’idées générées ou sur leur qualité. On constate même qu’en soumettant une problématique à différents individus de manière isolée, on obtient de meilleurs résultats qu’en soumettant la même problématique à tout un groupe de travail. En cause, l’auto-censure qui s’exerce nécessairement au sein d’un groupe (en raison notamment de la peur du jugement négatif des autres membres et du besoin de conformité) ainsi qu’à l’ambiance souvent cacophonique des réunions de brainstorming, peu propice à la concentration et à la réflexion. Résultat, peu d’idées réellement intéressantes, disruptives et innovantes ressortent de ces séances de travail.

Pour toutes ces raisons, certains n’hésitent pas à considérer les effets positifs du brainstorming comme un fantasme qui n’aurait jamais fait les preuves de son efficacité et serait plus une perte de temps qu’autre chose. D’autres, en revanche, ne jurent que par cette technique et estiment que l’innovation passe nécessairement par la libération de la créativité rendue possible grâce au travail de groupe.

Le design thinking

Le design thinking, par exemple, propose d’innover en s’appuyant sur un processus de co-créativité, avec notamment la fameuse légende du collage de post-its qui permettrait, comme par magie, de trouver des idées géniales et des solutions-miracles en un rien de temps. Une légende qui énerve par-dessus tout les véritables experts du Design thinking tant elle est réductrice et caricaturale.

À lire :

Car pour fonctionner, les techniques visant à libérer la créativité en utilisant l’émulation du groupe ne doivent pas être utilisées n’importe comment. De même qu’on ne prend pas d’assaut un bâtiment en se jetant dessus de manière anarchique et désorganisée, on ne s’attaque pas à une problématique de façon erratique, sans avoir réfléchi au préalable.

Mais alors, comment se servir du brainstorming ?

Tout d’abord en partant du principe qu’une séance de brainstorming n’est qu’un élément du processus de créativité. Pour être efficace, elle doit s’insérer dans une réflexion plus globale. Elle doit avoir été soigneusement préparée en amont et faire l’objet d’un travail d’analyse en aval.

AVANT - La mise en condition

Le succès d’une séance de brainstorming repose sur la manière dont on va la préparer en amont.

Communiquer clairement la problématique

Il faut d’abord, et avant tout, poser clairement la problématique et la communiquer aux participants. Elle doit être suffisamment précise pour donner une direction mais ne pas être trop cadrée pour permettre à chacun de se sentir libre de proposer des idées aussi disruptives et variées que possible. Définir la problématique est donc déjà un travail en soi !

Bien identifier et préparer les participants

Il faut également bien identifier les participants : réunir suffisamment de personnes pour créer l’émulation nécessaire mais pas trop pour permettre à chacun de s’exprimer. De plus, pour que tout le monde soit à l’aise le jour J, on peut envoyer aux participants des petits exercices ludiques à réaliser en amont qui leur permettront de se mettre dans l’ambiance et de commencer à chercher des idées ou des pistes de réflexion à explorer lors de la réunion.

PENDANT - Libérer les idées

Un chef de cérémonie

Avant toute chose, pour éviter l’anarchie, l’essoufflement ou même des conflits entre participants, une séance de brainstorming doit être menée par un animateur qui veillera à ce que le rythme de la réunion ne retombe pas. Il fera aussi en sorte que chacun puisse s’exprimer de manière équitable, ce qui, en fonction des personnalités présentes plus ou moins fortes et charismatiques, ne se fait pas toujours naturellement.Enfin, il fera également en sorte que tout se déroule comme il se doit : pas de jugement, pas de dénigrement, pas de critiques portées sur les idées proposées.

Une ambiance détendue et ludique

Il convient également, dès le début de la séance, de créer une ambiance détendue et ludique car c’est souvent difficile de laisser libre cours à ses idées quand on est trop sérieux ! Cela passe par un cadre agréable et confortable, des boissons et choses à grignoter, une atmosphère détendue, propice à l’humour. Ensuite, quand tout le monde est à l’aise, la séance de brainstorming peut commencer.

Un objectif clairement défini

On rappelle d’abord l’objectif de la réunion et la problématique principale sur laquelle on va se pencher. Si elle peut être écrite quelque part, c’est encore mieux. Cela permet de ne pas perdre de vue l’objectif.

Des règles du jeu

On rappelle également les règles du bon fonctionnement du brainstorming : ne pas hésiter à proposer plein d’idées, même farfelues - tant mieux si ça part dans tous les sens - essayer de rebondir sur les idées des autres pour les amener encore plus loin, ne pas avoir peur de cumuler plein d’idées. Et surtout, ne jamais juger ou critiquer les idées proposées.

Enfin, une fois tout ceci énoncé, il faut encore aider les participants à générer ces idées folles, à les libérer en faisant entrer le groupe dans un processus de créativité. Bref, tout pour détendre l’atmosphère, relâcher la pression et faire oublier qu’on est là pour trouver des idées, justement. C’est de cette manière qu’elles sortiront le plus naturellement.

Des exercices ludiques

Pour favoriser la génération d’idées sans filtre, on peut utiliser des outils ludiques : poser des questions amusantes, inciter à réfléchir de manière inversée, disserter autour d’un dialogue de films ou d’une citation d’auteur, on propose des exercices d’échauffement cérébral, on lance des jeux, des devinettes, on utilise des cartes avec des visuels inspirants, etc. L’animateur doit être inventif et proposer des exercices adaptés à son public et au sujet traité.

Pas de tri ni de jugement des idées

Une fois de plus, à cette étape, il ne faut jamais céder à la tentation de juger ou de trier les idées proposées. Pas de « oh non, je retire ce que j’ai dit », de « c’est nul, ne le note pas » ni même de « j’adore cette idée, elle est géniale », qui pourrait sous-entendre que les précédentes le sont moins ou qu’il est désormais inutile d’en chercher d’autres. On note tout, on n’analyse pas, peu importe qu’il y ait 20 ou 200 idées proposées, c’est même très bien. Le tri se fera après.

APRÈS - Le tri et l’analyse

Un tri bienveillant sur des critères de faisabilité, de coût ou d’intérêt

Lorsque la séance de brainstorming est terminée, soit parce qu’on a défini un temps limité au départ, soit parce qu’on estime avoir obtenu suffisamment de matière, on trie ensemble les idées proposées par les participants : on réunit celles qui se ressemblent, on voit dans quelle mesure elles peuvent s’articuler, on regroupe les plus simples à mettre en oeuvre ou au contraire les plus complexes, on supprime celles qui ne seront jamais mises en place ou qui ne répondent pas à la problématique, etc.

À ce moment du brainstorming, on peut donc s’autoriser à critiquer mais jamais gratuitement ou avec malveillance. Il s’agit plutôt de critiques sur la base de critères tels que la faisabilité technique, le coût de développement trop important, l’intérêt ou le gain limité, les facteurs de risque que cela représente, etc.

Dégager de grandes idées

À l’issue, on doit pouvoir dégager de grandes idées susceptibles de répondre à la problématique posée au début. Ce sont ces idées qu’on développera et qu’on cherchera à implémenter. Pour cela, un débrief précis doit être rédigé qui fait le point sur les différentes idées soulevées et sur celles retenues, en expliquant pourquoi et de quelle manière on peut les transformer en propositions concrètes.

Penser concret

Il faut garder à l’esprit que pour être efficace, une séance de brainstorming doit permettre de sortir des sentiers battus, d’explorer des thèmes inattendus, d’imaginer des solutions réellement nouvelles et différentes de ce qu’on a l’habitude d’envisager, tout en étant réalistes. Car il ne s’agit pas simplement d’accoucher d’idées géniales, encore faut-il qu’elles puissent se transformer en véritables solutions !

Photo by WTTJ

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