Entre art et code, rencontre avec Cyril Diagne, creative coder

30 nov. 2018

6min

Entre art et code, rencontre avec Cyril Diagne, creative coder
auteur.e
Anouk Renouvel

Freelance @ Communication numérique

Le 13 novembre 2018, on s’est rendu à la deuxième édition du festival GROW.Paris, festival dédié au code créatif, aux cultures numériques et au design. On a eu la chance d’y rencontrer Cyril Diagne, un jeune artiste numérique français, qui travaille au Google Arts Lab, et qui y développe des oeuvres numériques, quand il n’enseigne pas à l’ECAL (Université d’Art et de Design de Lausanne). Et on en a profité pour abuser de sa gentillesse et lui poser quelques questions sur son parcours, son travail et la reconnaissance des arts numériques en général.

Qu’est-ce qu’un digital interaction artist ?

Ce nom représente pour moi l’idée de créer des systèmes plutôt que des impressions ou des images en mouvement, comme un artiste plus traditionnel. Là, ce sont vraiment des systèmes interactifs et, mon travail, c’est de réfléchir à comment nos interactions avec la technologie peuvent être différentes, et peut-être mettre la lumière sur un aspect surprenant ou original, parfois drôle ou au contraire inquiétant. En tous cas, c’est vraiment essayer d’aborder la technologie qui nous entoure de manière différente.

Mon travail, c’est de réfléchir à comment nos interactions avec la technologie peuvent être différentes, et peut-être mettre la lumière sur un aspect surprenant ou original, parfois drôle ou au contraire inquiétant.

Comment es-tu devenu un digital innovation artist ?

J’ai d’abord étudié à l’école de l’image Gobelins à Paris. J’ai commencé en tant que graphiste, et au fur et à mesure de mes études, je me suis de plus en plus intéressé au code et à la technologie en général, que j’utilisais de plus en plus dans mes projets. Je me suis progressivement formé sur Internet grâce à des tutoriels, des vidéos Youtube… J’ai pu tester de nouvelles choses dans mes projets de graphisme. Et je suis devenu tellement passionné que j’ai finalement décidé de faire ma deuxième année en tant que développeur.

Tu t’es donc formé au code et à la programmation en autodidacte ?

Oui, exactement ! Et je pense que beaucoup de gens apprennent le code par eux-mêmes, notamment chez les creative coders. Il y a énormément de ressources en ligne, des espaces de formation qui proposent des cours ou des workshops et ça permet d’aller déjà très loin sans avoir besoin de faire une école d’ingénieurs ou une formation technique.

Cyril Diagne 

Aujourd’hui, tu crées des oeuvres partout dans le monde et tu as élu domicile au Google Art and Culture. Peux-tu nous expliquer à quoi ressemble ta journée-type ?

Ce qui est génial, c’est que dans mon métier il n’y a pas deux journées qui se ressemblent, particulièrement au sein de ce Lab de Google. C’est sûr que je passe beaucoup de temps devant mon ordinateur. Mais c’est pour faire des choses différentes : hacker, corriger des bugs, rajouter des nouvelles features deux minutes avant un talk devant 4000 personnes, régler un problème technique de dernière minute… Ça peut aussi être dans les aéroports entre deux présentations, en tailleur derrière le podium, pendant des nuits blanches où je ne peux pas lâcher mon projet en cours, tellement il est captivant… La partie code, quand il s’agit de corriger un problème par exemple, ça peut devenir comme un jeu : on doit chercher des indices, ce qui ne fonctionne pas… On peut s’y perdre, comme dans un jeu vidéo.

La partie code, quand il s’agit de corriger un problème, ça peut devenir comme un jeu : on doit chercher des indices, ce qui ne fonctionne pas… On peut s’y perdre, comme dans un jeu vidéo.

Petit virage pragmatique : quelles technologies et quels outils utilises-tu au quotidien pour créer ?

J’utilise beaucoup Javascript, et le web de façon générale. Avec le web, tu peux créer des sites et des applications incroyablement sophistiqués, y compris de machine-learning. J’encourage tous ceux et celles qui sont intéressés par le code à se rapprocher des technologies web, quelles qu’elles soient.

Pendant sa conférence à GROW.Paris, Edan Kwan, creative coder comme toi, a dit « j’ai réalisé que je n’étais pas un artiste. Ce que j’aime, c’est résoudre des problèmes ». Tu te considères plutôt comme un artiste ou comme un développeur ?

Je pense que, finalement, il y a peu d’artistes aujourd’hui qui n’ont pas de problème à résoudre ! Et ça, ça m’encourage à ne pas avoir peur d’utiliser la dénomination d’artiste. À partir du moment où on crée quelque chose dont on est fier, qu’on y a mis toute son énergie, toute son âme, et qu’on n’a répondu à aucune autre injonction que celle d’exposer une idée, je pense qu’on n’a pas besoin d’être timide et qu’on peut se sentir artiste. Et puis, c’est possible d’être les deux finalement, artiste et développeur. Il y a toujours eu des connexions entre le design et l’art, et je ne pense pas que la technologie influe tellement sur cette relation.

À partir du moment où on crée quelque chose dont on est fier, qu’on y a mis toute son énergie, toute son âme, et qu’on n’a répondu à aucune autre injonction que celle d’exposer une idée, je pense qu’on n’a pas besoin d’être timide et qu’on peut se sentir artiste.

Cyril Diagne et Gaël Hugo à la conférence Grow.Paris - Paris.- Crédit : Edouard Ducos

Parmi toutes tes oeuvres, est-ce qu’il y en a une qui te tient particulièrement à coeur ou qui a présenté des défis particuliers ?

Celle qui a été récemment publiée, celle du portrait (application Google Arts and Culture, “Votre portrait se trouve-t-il dans un musée ?”). Elle encapsule tellement d’aspect de mon travail. Et le fait qu’elle ait été adoptée à ce point par un large public… C’est la première fois qu’une de mes oeuvres connaît un tel succès.

Justement, est-ce que tu as vécu ce succès comme un aboutissement ? Et de manière générale, est-ce que tu cherches la notoriété dans ton travail ?

Ce n’était pas du tout ma motivation de départ mais, en effet, une des motivations était de créer quelque chose qui puisse parler à tout le monde. Dans l’usage de la technologie aujourd’hui, ce serait facile de s’enfermer dans des “silos”. Et pour moi, c’était vraiment un objectif que ce projet-là aille parler à des personnes qui n’ont pas forcément l’habitude d’être en contact avec l’Art, la technologie, et encore moins le mélange des deux. Évidemment, on a toujours envie de savoir comment son œuvre est accueillie par le public, et puis là en l’occurrence, il fallait que les gens se l’approprient pour que ça fonctionne. Et ça a été aussi l’occasion de me rendre compte que mon travail a un vrai intérêt et qu’il intéresse d’autres personnes.

C’était vraiment un objectif que ce projet-là aille parler à des personnes qui n’ont pas forcément l’habitude d’être en contact avec l’Art, la technologie, et encore moins le mélange des deux.

Est-ce que tu penses que le code créatif en particulier, et les arts numériques en général, sont suffisamment reconnus en France et à l’étranger ?

Le plus important dans la question de la reconnaissance, c’est surtout de se demander “par qui ?” ça l’est ou peut l’être. Alors évidemment, dans le marché de l’art, ça fait plusieurs années qu’il y a un débat houleux entre les deux communautés, celle de l’Art et celle de la Tech, la première ayant du mal à légitimer la seconde. Cela dit, on a aussi des signaux qui sont apparus récemment et qui montrent qu’il y a une curiosité envers cette “nouvelle” forme d’art. Et personnellement, je travaille avec des institutions culturelles et artistiques ou des musées partout dans le monde, et ce depuis 2008. Donc ça démontre bien un véritable intérêt de la part du “monde de l’art” à l’échelle internationale. Il faut seulement trouver les façons de travailler ensemble.

Et pour conclure, aurais-tu des conseils à donner à quelqu’un qui voudrait devenir un digital artiste ?

Je dirais qu’il ne faut pas se laisser intimider par la façon dont la technologie est présentée. On la voit souvent comme quelque chose de fini, d’etheré (ou ethereal en Anglais), d’assez lisse, voire inaccessible et sans prise. Alors qu’il y a vraiment une fine couche qu’il suffit de percer pour entrer dans la machine, et pour s’approprier la technologie, et ainsi cesser d’être des utilisateurs passifs pour devenir de véritables acteurs. En plus, tout est encore en perpétuelle construction. Par exemple, quand j’arrive dans une grande ville, j’ai toujours l’impression qu’il est impossible de modifier des choses, une infrastructure par exemple. Qu’elle est là, en place, figée et qu’il n’y a aucun moyen d’agir sur son fonctionnement. Avec les infrastructures numériques, on pourrait penser la même chose mais c’est faux. La jeune génération d’aujourd’hui a les moyens de devenir les constructeurs de ces infrastructures, à faible coût et aussi plus rapidement que les générations précédentes puisqu’ils ont toutes les ressources disponibles en ligne, à leur portée. Et je ne sais pas si ça sera toujours le cas alors il faut que les jeunes s’y mettent maintenant !

Il y a vraiment une fine couche qu’il suffit de percer pour entrer dans la machine, et pour s’approprier la technologie, et ainsi cesser d’être des utilisateurs passifs pour devenir de véritables acteurs.

“Portée”, oeuvre de Cyril Diagne & Béatrice Lartigue, 2014 - Namur, Belgique.

Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook et abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir chaque jour nos meilleurs articles !

Photos by Google Arts Lab

Les thématiques abordées