L'été où je me suis déshabillée pour une mission professionnelle

12 juil. 2018

4min

L'été où  je me suis déshabillée pour une mission professionnelle
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Dans chacun de nos billets d’humeur, nous donnons la parole à une personne, anonyme ou non, qui revient sans langue de bois sur une histoire marquante qu’elle a vécue au travail. Un témoignage subjectif dans lequel certains d’entre vous pourront se reconnaître et qui questionne la réalité du travail d’aujourd’hui.


C’est une éventualité que je n’avais jamais imaginé : me déshabiller pour une mission professionnelle. Ce fut à la fois déstabilisant, décomplexant et une véritable prise de conscience de l’importance des codes vestimentaires en entreprise.

Je me souviendrai toujours de mon éclat de lucidité après avoir envoyé à mes boss la proposition de participer à une course à pied nudiste : « Tu es complètement folle ! Ils vont te prendre pour une exhibitionniste dérangée ! Ça fait à peine quelques semaines que tu travailles pour eux ; quelle idée de leur proposer une mission caritative aussi insolite ?! » Je voyais déjà se profiler à l’horizon l’absence de renouvellement de contrat et mon avenir professionnel ruiné à jamais. Pourtant, lorsque je travaillais sur ma proposition, je n’y voyais absolument rien de vulgaire, ni de choquant. J’envisageais cette mission comme intéressante pour ma boîte, en toute naïveté. Quel stress ce fut d’attendre la réponse de mes boss ! Puis elle tomba : ils acceptaient. Mieux, ils étaient vraiment intéressés. J’étais sauvée ! Mais fallait-il encore que j’assure cette mission sans faire passer ma boîte pour une entreprise « nudiste friendly » ou perverse, sans compter qu’en fait, je n’avais jamais été nue en public… Non seulement ça allait être la première expérience nudiste de ma vie, mais en plus dans le cadre du taf. Quelle inconsciente !

Quelques mois plus tard j’embarquais donc à destination de la Finlande, pour atterrir dans un cottage en bois rouge, au bord d’un lac, en plein milieu d’une forêt de pins et de bouleaux. Le moment était venu de participer à cette course à pied tout nu. Un événement qui se veut porter un regard critique sur ce sport et faire retrouver les sensations originelles du running aux aficionados des gadgets techniques et autres vêtements de compression. Dans ma tête, je passe en mode travail. J’ai une mission à effectuer, plus rien d’autre ne compte. J’oublie mes peurs, mes angoisses. La raison de ma présence à cet événement nudiste est imprimée dans ma tête pour ne pas être déstabilisée : elle n’a rien de perverse, ni de loufoque, elle est professionnelle. Lorsque je me déshabille, voilà qui m’évite de me sentir complètement à poil… je garde ma casquette de pro !

J’observe les corps des dizaines de personnes autour de moi. Cela m’interpelle. Ils ne correspondent pas du tout à l’idée que je m’en faisais en les voyant habillés. Poignées d’amour, sexes tordus, cellulites sur les fesses, seins qui tombent… Sans son costume cravate, cet homme si maigre paraît beaucoup moins imposant. En enlevant son legging, cette femme aux jambes grassouillettes perd son allure sportive. Et cette dame là-bas qui retire une tenue d’une autre époque, ne paraît-elle pas plus jeune ? Je réalise l’importance des vêtements dans nos relations. Ce sont des costumes sociaux qui envoient une certaine image de ceux qui les portent. Ils peuvent intimider, séduire, intriguer, et même instaurer une hiérarchie, mettre des barrières entre les personnes. Je ne peux plus me cacher derrière ma chemise. C’est bien cela, sans vêtements, je ne me sens plus crédible dans mon job. Je n’ai plus mon costume…

Sans son costume cravate, cet homme si maigre paraît beaucoup moins imposant… C’est bien cela, sans vêtements, je ne me sens plus crédible dans mon job. Je n’ai plus mon costume.

Le départ est donné et tous les corps s’agitent sur le sentier en vue des 10km à parcourir. Si mes petits seins restent bien en place, mes fesses ballotent un peu. Je ressens mes longs cheveux qui caressent mon dos et l’air qui frôle ma peau. La sensation est si agréable que la nudité devient naturelle, une évidence. Pourquoi s’embête-t-on avec tous ces vêtements ? Mais en m’élançant dans la forêt, je suis encore gênée par certains regards… Sont-ils en train de se rincer l’oeil ? Se moquent-ils de mes imperfections ? Sont-ils écoeurés par les gouttes de transpiration qui glissent librement sur mon corps sans qu’aucun tissu ne les absorbe ? L’euphorie de la compétition, et les coureurs qui rient, se tapent dans les mains, s’encouragent, me font oublier les regards insistants. Après tout… je ne me gêne pas non plus pour reluquer les jolies fesses !

Progressivement, j’accorde moins d’importance aux coups d’oeil portés sur moi… et je constate qu’ils sont beaucoup moins gênants que tous ceux qui, dans ma vie, ont pu me déshabiller du regard. Il n’y a plus rien à imaginer, plus de message subliminal à faire passer. Un coureur me complimente avec humour sur mes yeux. Quelle bonne blague! Mais cela n’en est pas moins révélateur : après avoir rapidement scruté le corps de l’autre, c’est dans le blanc des yeux que l’on préfère se regarder. Plus expressifs que les vêtements… moins superficiels que les habits…. Moins hypocrites que les costumes.

Je discute avec les autres participants. Cela ne semble pas perturber les Finnois, qui m’expliquent à quel point la nudité est décomplexée dans leur pays. Le sauna est un lieu où l’on se retrouve entre amis, en famille, et même entre collègues. On y passe du temps dénudé, en alternant entre séance de sudation, apéro-bière, et nage dans l’eau fraîche d’un lac. Discuter travail, tout nu, n’a donc rien de scandaleux. Je m’imagine une seconde, à poil, dans un sauna avec mes voisins de bureau… Pire, avec mes boss ! Quelle gêne ce serait !

Je m’imagine une seconde, à poil, dans un sauna avec mes voisins de bureau… Pire, avec mes boss !

La course est terminée. Je laisse tomber ma casquette de professionnelle. Et me voilà juste à poil… au sens propre comme au figuré. Mais je n’ai plus très envie d’enfiler mes vêtements ni que les autres remettent les leurs. Je n’ai pas envie de me laisser influencer par les messages de leurs styles vestimentaires, ni envie de réfléchir à ce que pourrait exprimer le miens. Et, finalement, je me dis que, laisser tomber les costumes, pour se faire un sauna, à poil, entre collègues, pourrait être constructif. Peut-être pourrait-on enfin se parler, en toute honnêteté, sans artifices, sans hiérarchie ni codes vestimentaires qui interfèrent avec les messages à transmettre. Alors je lance l’idée : et si, pour le prochain team building, on se mettait tous à poil ?

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Photo by WTTJ

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