« Je trouve de quoi demain sera fait » Vincent Grégoire, Chasseur de tendances

28 sept. 2016

4min

« Je trouve de quoi demain sera fait » Vincent Grégoire, Chasseur de tendances
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Vincent Grégoire travaille depuis 25 ans chez NellyRodi, le célèbre bureau de tendances créé en 1985 par Nelly-Claire Rodi.

Le job de cette “agence de prospective” en deux mots ? Analyser les tendances du moment - dans les domaines de la mode, l’art de vivre, et la beauté - pour pouvoir anticiper celles de demain.

Vincent est l’un de ces visionnaires qui ouvrent grand ses yeux et ses oreilles à l’affût du monde qui bouge. Il nous livre ici les secrets de ce métier à la fois complexe et passionnant : entretien avec un infatigable observateur.

Bonjour Vincent. Tu exerces le métier de chasseur de tendances, peux-tu nous dire en quoi cela consiste ?

Le métier de tendanceur est né en France et a été popularisé par les Anglo-Saxons. C’est une profession qui est longtemps restée dans l’ombre des agences et des marques mais qui a pris son envol dans les années 2000. C’est à ce moment-là en effet que les médias ont commencé à s’intéresser au « pourquoi » : pour comprendre les raisons concrètes d’un succès, mais aussi pour chercher à faire le buzz !

Concrètement, j’essaie de trouver de quoi demain sera fait. Il s’agit d’anticiper les modes de vie, comprendre les attentes des consommateurs, chercher quels vont être les nouveaux courants esthétiques, techniques, technologiques, sociaux. On est à la croisée de la mode, du design, de la sociologie et du journalisme. On vit de partage, de rencontres et surtout de voyages, la tendance est internationale !

Je parcours le monde pour dénicher, renifler, écouter et rencontrer. Il faut ensuite transformer ces informations et restituer une vision auprès des clients qui font appel à mes services. C’est la base du métier !

Quel est ton parcours ?

J’ai grandi à Rennes dans les années quatre-vingt, on était en plein courant new wave. J’ai donc été baigné par cette effervescence créative. De mon côté, j’avais des choses à dire et je ne savais pas comment les dire alors je me suis dirigé vers l’architecture et j’ai intégré Camondo (entité pédagogique des Arts Décoratifs) à Paris.

Pendant mon cursus j’ai fait de stages de stylisme où je dessinais des sacs, des chaussures, des accessoires, où je mettais en scène des vitrines aussi. La mode me rattrapait ! C’est comme cela que j’ai croisé Nelly Rodi, et le hasard fait bien les choses, puisqu’elle a aimé ma démarche transversale artistique. Je suis rentré à l’agence en 1991 et je ne l’ai pas quittée.

Là-bas j’ai repris le département “Maison” que j’ai transformé en “Art de Vivre”, je voulais aller plus loin, toucher à tout, pouvoir conseiller des clients dans l’hôtellerie, le linge de maison, le food ou l’automobile. J’ai eu la chance de créer mon métier !

Quelles sont les qualités pour devenir tendanceur ?

La curiosité, la curiosité et la curiosité ! C’est une qualité indispensable chez NellyRodi ! Pour être chasseur de tendances il faut être passionné, ne pas avoir d’idées toutes faites et donc être ouvert à tout, avoir envie de découvrir, de redonner aux autres, d’imaginer comment remettre la bonne idée en perspective. Il n’y a pas de temps mort, on ne débranche jamais : on a toujours peur de louper quelque chose !

Les rapports humains sont aussi très importants dans ce métier. Vous prêchez la bonne parole auprès de personnes qui attendent des solutions, des mesures concrètes pour leur business. Alors il faut rester humble, pouvoir faire le grand écart entre le luxe et la grande distribution. En bref s’adapter et être disponible !

Comment ce métier a évolué avec l’arrivée du digital ?

Le digital a bouleversé le rapport au temps pour tout le monde, pour les tendances c’est la même chose. Avant nous avions de grandes directions qui s’installaient pendant plusieurs années, aujourd’hui c’est presque au jour le jour. Le rythme est très élevé et la multiplicité des tendances s’atomise, des fois ça part dans toutes les directions.

Ensuite, l’arrivée des réseaux sociaux a permis à une toute nouvelle population de s’exprimer auprès de beaucoup de monde. C’est aussi l’ère de l’éphémère, on oublie très vite pour passer à autre chose, écouter une autre personne, un autre influenceur.

Pour nous, ce flux permanent d’information tous azimuts est une aubaine, mais c’est aussi un stress permanent pour les marques qui ont besoin de discerner le bon du mauvais, le vrai du faux et trouver une voie. C’est là que mon métier et surtout l’expérience acquise font la différence. Je fais le tri, je propose des choix pour mes clients, je prends parti.

Une journée avec un tendanceur, c’est comment ?

Mes journées se suivent mais ne se ressemblent jamais ! Je voyage beaucoup dans l’année pour la recherche d’information et les rendus de projets auprès des clients. Lorsque je suis à l’agence, il me faut une certaine discipline de travail : le matin je fais mes gammes comme un pianiste. On se lève en mode “recherche et analyse” : c’est à ce moment qu’on fait de la veille en épluchant la presse, les réseaux sociaux, et avec ça on cherche des idées. La journée est ensuite consacrée aux réunions, aux suivis de projets, etc. Elle est souvent entrecoupée par des appels de journalistes qui veulent tout savoir sur les dernières tendances ! La fin de la journée est réservée aux expositions, vernissages, concerts. Il faut aller chercher les idées ailleurs !

Lorsque je suis en déplacement ou en week-end à Paris, j’aime aller voir la réalité du marché : passer d’un centre commercial à une boutique de luxe, regarder les consommateurs, chiner, rester en éveil !

Quel profil pour devenir un chasseur de tendances ou travailler avec toi ?

Il faut une personnalité atypique, des gens qui m’étonnent et que tout intéresse. C’est important de savoir transcrire ses idées par l’image, le son, les mots, cela permet de formuler une réflexion et la délivrer : ne pas dire « je sais » mais « j’ai envie » !

Etre chasseur de tendances c’est aimer travailler en équipe et être ouvert sur plein de disciplines. On peut venir du milieu de l’art et avoir exercé des métiers dans le marketing ou la communication, ou être sorti d’une école de commerce mais montrer une vraie sensibilité créative. L’idéal est un juste mélange des deux : des personnes qui se soient confrontées à la réalité du business avec une fibre artistique.

Comme je le disais avant, il est indispensable d’être curieux pour faire ce métier. Aussi il faut avoir une vie en dehors du travail, par exemple aimer cuisiner, recevoir ou jardiner… Cela montre une certaine générosité et ouverture d’esprit. On recherche des gens passionnés qui soient toujours pleins d’entrain et surtout non blasés.

Enfin, les tendanceurs parlent parfaitement anglais, car ce métier est international, on voyage beaucoup et notre inspiration peut venir des quatre coins du monde !

Photo MAISON&OBJET 2013 - Boca Do Lobo©