L'été où j'ai passé un mois à l'accueil d'une banque

19 juil. 2018

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L'été où j'ai passé un mois à l'accueil d'une banque
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Chaque semaine cet été, retrouvez une histoire estivale de bureau. Comment trouver du sens à son job d’été quand on est seule alors qu’on a besoin d’interactions sociales ? Comment occuper ses journées quand, finalement, on n’a rien à faire ? Comment vaincre la déprime ? Clémence nous raconte comment elle a survécu à un mois passé derrière le guichet d’une banque, vide.

Quand j’ai eu 21 ans, une offre « en or » s’est offerte à moi : bosser un mois complet au guichet d’accueil d’une banque.

Dès que j’ai pu, j’ai voulu bosser l’été. Plusieurs raisons à cela : les longs mois à occuper entre la fin et la reprise des cours, l’envie de me prendre en main en tant que jeune adulte, et celle de récupérer quelques sous pour profiter des mois à venir sans dépendre de la bonne volonté maternelle. Jusqu’ici, j’avais toujours fait des trucs plutôt cool, alternant du service dans des bars que j’aimais, de la rédaction d’articles pour des sites de lifestyle ou de la garde d’enfants, plus des anges que des diablotins. Mais quand j’ai eu 21 ans, une offre « en or » s’est offerte à moi : bosser un mois complet au guichet d’accueil d’une banque. 35 heures, plutôt très bien payées pour quelqu’un sans expérience, le tout dans une agence réputée calme. Enthousiaste, j’ai sauté sur l’occasion et rayé mon mois d’août sur l’agenda.

Quand je suis arrivée à l’agence, le premier mardi (souvenez-vous, le lundi c’est repos pour les banques), la rue était vide et il pleuvait à torrent. Dans le nord on dit qu’il « drachait », et vraiment c’est le terme idéal pour décrire cette lourde pluie grise qui faisait penser à une matinée d’octobre. Je crois que la première chose qui m’a traversé l’esprit, alors que j’attendais que la responsable vienne m’ouvrir la porte sécurisée, ça a été : « c’est la déprime, qu’est-ce que je viens faire dans cette galère alors que j’aurais pu être sous ma couette ou quelque part en vacances en famille ? »

« C’est la déprime, qu’est-ce que je viens faire dans cette galère alors que j’aurais pu être sous ma couette ou quelque part en vacances en famille ? »

Quand la porte s’est ouverte sur ma cheffe, M., une femme décidée et accueillante, j’ai repris confiance en les semaines à venir. Après tout, on ne pouvait pas avoir l’air si épanouie qu’elle et passer un mauvais mois d’août dans cette agence ! Ascenseur émotionnel : quand elle s’est mise à m’expliquer les tâches qui allaient m’incomber, debout derrière mon petit accueil jaunâtre, j’ai bien cru que j’allais les planter là, elle et son logiciel incompréhensible.

La pire chose, quand on travaille dans ce genre d’endroit l’été, c’est qu’il n’y a presque personne qui rentre dans votre agence. Je suppose que c’est pareil pour beaucoup de commerces ou de services en plein mois d’août, mais moi qui aime voir du monde et ai toujours bossé dans un tourbillon enthousiasmant, le choc a été rude. Ma boss, sympa mais distante, passait ses journées enfermées dans son bocal, accrochée avec passion à son ordi et son téléphone à fil tourbillonné. Le midi, elle filait retrouver mari et premier enfant, tandis que j’arpentais le quartier à la recherche de quelque chose de passionnant à faire. Et matin comme après-midi, entre deux clients qui entraient pour retirer de l’argent ou me demander l’adresse d’un coiffeur, je restais désespérément debout ou à demi assise sur un haut tabouret inconfortable. Sur le petit écran posé sur ma console, juste la possibilité d’accéder à un Intranet ultra-limité, impossible de surfer comme bon me semblait sur des sites médias ou un simple YouTube ou Facebook… J’emmenais bien chaque jour des bouquins avec moi pour m’occuper, mais je culpabilisais tellement de ne pas être « en train de travailler au travail », que je décrochais des pages au moindre bruit. Toujours prête à saisir la moindre remise de chèque possible et imaginable.

J’emmenais bien chaque jour des bouquins avec moi pour m’occuper, mais je culpabilisais tellement de ne pas être « en train de travailler au travail », que je décrochais des pages au moindre bruit.

Un après-midi, ça devait être mon cinquième jour, ma responsable m’a pris en aparté dans le couloir. Pas compliqué, puisque nous n’étions que deux. C’était le premier jour de beau temps depuis deux semaines à Lille, et j’en avais profité pour enfiler robe et sandalettes. « Tu sais, elle m’a dit, c’est important qu’on s’habille de manière neutre ici. J’ai déjà voulu te le dire la dernière fois mais ça serait bien que tu penses à t’habiller en noir, ou en bleu marine à la limite. » Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai passé le reste de mon mois en jean sombre. En deuil de mon été.

Mais je pense que le pire, concernant cette expérience, c’est que pour la première fois de ma vie, j’étais totalement nulle à ce que je faisais… En train de valider un bac +5, plutôt du type intello-première de classe, j’étais incapable d’appliquer simplement les consignes que me répétait inlassablement ma cheffe d’agence. Au bout de la troisième semaine, la mèche blonde un peu folle, M. a fini par s’occuper de mes opérations les plus importantes, histoire que j’évite une énième bourde. Je crois me souvenir avoir, une fois, fait un très gros virement sur le mauvais compte. Mon cerveau a préféré l’occulter…

Pour la première fois de ma vie, j’étais totalement nulle à ce que je faisais…

À la fin, la cheffe de l’agence m’a prise dans son bureau, je m’en souviendrai toujours. Elle me parlait pêle-mêle de son avenir, de comment elle était ravie de monter en grade dans une autre agence, d’aider ses clients du mieux qu’elle pouvait, de préparer l’arrivée du deuxième bébé. Ça lui a permis d’embrayer sur mon cas désespéré et de me souffler gentiment qu’elle préférait ne pas donner un avis favorable pour de prochains remplacements d’été au sein du groupe. Non pas que j’étais bête, sûrement que non (elle n’avait pas l’air très convaincue), juste que de toute évidence ce n’était pas fait pour moi. Un brin condescendant. Je ne savais plus si je devais pleurer de honte ou de bonheur de pouvoir désormais décompter rapidement les heures qui me restaient à tenir.

Le dernier soir, M. m’a quand même fait une grosse bise, comme on embrasse quelqu’un qui nous fait un peu de la peine. Pas de pot de départ, rien, j’ai filé dehors, rejoindre des amis dans un bar. Bien décidée à célébrer ma libération.

Il m’a fallu quelques temps pour repenser convenablement à cette expérience. Et en fait, plus j’y pense et plus je sais que ça a été un moment fondateur dans ma vie professionnelle. Une épiphanie. Comprendre que certaines choses avaient du sens pour moi et que je ne pouvais pas y renoncer. Je sais que M. était très heureuse dans son boulot, qu’elle avait fait le même taff d’accueil que moi à un moment et qu’elle avait grimpé les échelons et trouvé du sens dans l’accompagnement de ses clients. Tant mieux. Mais moi, j’ai compris que je ne pouvais pas rester enfermée dans la même pièce sans fenêtre toute la journée, que respecter des horaires à la minute près me terrifiait, que j’avais besoin de rencontrer énormément de gens et de me sentir bonne dans ce que je faisais. Alors, s’il fallait le refaire, je le referais.

Le dernier soir, M. m’a quand même fait une grosse bise, comme on embrasse quelqu’un qui nous fait un peu de la peine.

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Photo by WTTJ

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