"Réduire le gaspillage alimentaire" : interview Lucie Basch (Too Good to Go)

29 mars 2019

6min

"Réduire le gaspillage alimentaire" : interview Lucie Basch (Too Good to Go)
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Ingénieure centralienne et sensible au gaspillage alimentaire depuis toujours, Lucie Basch réalise, après une première expérience professionnelle dans l’industrie agro-alimentaire que sa place est ailleurs : auprès de ceux qui innovent pour résoudre nos grands défis contemporains. En Juin 2016, elle fonde Too Good To Go France, l’application qui permet d’acheter des repas de qualité à petit prix tout en faisant un geste pour la planète ! Rencontre avec cette entrepreneuse passionnée et passionnante qui a fait de l’anti-gaspi, sa mission de vie.

Qu’est-ce qui t’a poussé à créer Too Good To Go? As-tu toujours eu envie de monter ta boîte ?

J’avais peut-être ce côté entrepreneurial en moi mais sans vraiment m’en rendre compte. Ce qui est certain, en revanche, c’est que je n’ai jamais monté Too Good To Go dans l’unique but de créer une boîte mais pour apporter du sens à mon quotidien. Ce qui m’a gêné, ou en tout cas manqué, dans les grands groupes, c’est le manque d’impact que j’avais au quotidien. Ce qui me drive, c’est cette envie de faire changer les choses. Chez Nestlé la seule chose que j’impactais, c’était de faire en sorte que le chiffre d’affaires soit toujours plus important. Un jour, je me suis dit que c’était nul comme but et qu’il était temps de mettre mon énergie au service d’un projet qui me tenait vraiment à cœur et qui avait du sens pour moi.

Je n’ai pas monté Too Good To Go dans le but de créer une boîte mais pour apporter du sens à mon quotidien.

Le credo de Too Good To Go, c’est « Impacter pour mieux consommer ». C’est quoi pour toi avoir de l’impact ?

Avoir de l’impact, c’est changer les choses. Et pour moi aujourd’hui, cela nécessite d’impliquer chaque citoyen en leur donnant le pouvoir de s’informer, de s’exprimer et de mieux consommer. Je siège d’ailleurs au comité de transition alimentaire de Carrefour qui commence à écouter ses clients en leur proposant des produits bio, locaux et de saison en magasin. C’est très cool de participer à ce genre d’initiatives car si un groupe comme Carrefour change, c’est un impact énorme pour la société.

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Quel a été le meilleur conseil que l’on t’ait donné pour lancer ton projet ?

Quand j’ai quitté Nestlé, j’avais été prise à l’Essec pour faire un master entrepreneuriat. Quand j’ai rencontré les responsables du Master, j’avais déjà l’idée de Too Good To Go et je leur en ai parlé. Ils m’ont répondu très honnêtement que si j’avais déjà mon projet, il fallait que je me lance et que j’apprendrais beaucoup plus qu’en faisant encore une année d’étude. J’ai donc annulé mon inscription et décidé que le budget alloué à cette formation, je le mettrais dans mon projet. Et finalement, c’est le meilleur conseil qu’on m’ait donné.

Concrètement, comment as-tu fait pour développer le concept en France? Comment as-tu réussi à convaincre tes premiers partenaires ?

À la sueur de mon front ! Clairement quand j’ai commencé, je n’avais rien, je n’avais même pas de site, rien à montrer aux potentiels clients. Ça m’a obligé à faire énormément de porte-à-porte alors que je n’avais jamais fait ça de ma vie. C’était dur mais c’est là que je me suis rendue compte que quand on est profondément convaincu par quelque chose, on a envie de convaincre la terre entière. Alors assez naïvement je suis allée voir tous les commerçants de mon quartier en leur expliquant mon projet. C’est d’ailleurs grâce à eux qu’on a eu l’idée de “paniers surprises” car le vrai problème pour eux c’était le référencement des produits sur l’application. Il fallait que ce soit aussi simple que de tout jeter à la poubelle. C’est la promesse que je leur ai faite. Et ça a marché ! Aujourd’hui, au lieu de tout mettre dans un sac poubelle, le commerçant n’a qu’à tout répartir en plusieurs paniers surprises et indiquer le nombre de paniers disponibles sur l’application. Too Good To Go, au départ, c’est une solution pour les commerçants. Ensuite c’est l’engagement citoyen qui a fait le reste.

Quand on est profondément convaincu par quelque chose, on a envie de convaincre la terre entière.

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As-tu une anecdote à nous raconter sur les débuts du projet?

On a lancé l’application en juin 2016, la semaine des grandes crues de la Seine. Paris était complètement inondé, les commerçants ne se faisaient plus livrer, donc forcément ils n’avaient pas d’invendus et il pleuvait tellement que personne ne sortait de chez soi donc personne ne récupérait les paniers. Quant aux médias, tous parlaient de la crue et pas de notre lancement. Le flop total. Mais bon, des obstacles, il y’a en a des milliers : la vraie question, c’est comment tu les vois. Comme un challenge ou comme une galère ? Au fur et à mesure tu apprends de tes erreurs et tu te rends compte que c’est pas si grave.

Des obstacles, il y’a en a des milliers mais la vraie question c’est comment tu les vois.

L’application aura donc trois ans en juin prochain. As-tu le sentiment que la société a commencé à évoluer vers une consommation plus responsable?

Je pense qu’il y a une réelle prise de conscience. On en entend d’ailleurs de plus en plus parler dans les médias généralistes. Quand on me demande si les gens utilisent Too Good To Go pour lutter contre le gaspillage alimentaire ou pour profiter de nourriture pas chère, je réponds que peu importe. Notre idée, c’est justement que quelqu’un qui n’en a rien à faire de l’environnement, vienne sur l’application, récupère son panier et réalise que sans son geste, tout ça serait parti à la poubelle. Ce geste, c’est peut-être le début d’une prise de conscience et du changement de leurs habitudes.

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Est-ce que le fait d’avoir monté Too Good To Go, a changé tes habitudes?

Je fais toutes mes courses en vrac, je n’achète que du bio, j’ai complètement viré le plastique de chez moi et je me suis aussi mise au Zéro déchet. Pour les vêtements, je me pose la question de savoir si une pièce est éthique ou pas… On a hérité d’un mode de vie hyper irresponsable, alors déjà en être conscient, c’est énorme. Et ensuite à chacun de choisir ce qu’il peut faire sans contraindre dramatiquement sa vie. Par exemple être végétarien, plutôt que vegan, c’est déjà une énorme amélioration et ça permet de continuer à pouvoir se faire inviter chez ses potes ! Il s’agit de trouver le juste milieu qui a du sens avec ses convictions.

Tu rencontres beaucoup d’entrepreneurs, quel conseil donner à ceux qui veulent se lancer?

Just do it. Dites-vous que dans tous les cas ce sera un succès : soit vous échouez mais vous apprendrez d’autant plus, soit c’est une réussite et vous passerez votre temps à faire quelque chose auquel vous croyez et que vous êtes heureux de construire. Il n’y a pas besoin d’avoir une vision hyper long terme, il faut juste mettre les mains dans le cambouis et faire confiance à son intuition.

Soit vous échouez mais vous apprendrez d’autant plus, soit c’est une réussite et vous passerez votre temps à faire quelque chose auquel vous croyez.

C’est quoi ta vision du travail ?

Pour moi, le travail, dans l’idéal c’est pas simplement bosser pour payer son loyer. C’est un projet qu’on choisit et dans lequel on a envie de mettre toute son énergie. C’est ce qu’on ferait même si on n’était pas rémunéré pour le faire.

Chez Too Good To Go, les employés sont des « waste warriors ». Comment vous les recrutez ?

Cette année, le recrutement est l’un de nos plus gros challenges car on va devoir recruter 25 personnes d’ici fin juin. On ne recrute pas forcément des gens qui ont eu des expériences bénévoles ou qui sont à fond dans le développement durable. Moi j’ai bossé avant chez Nestlé et Amazon alors heureusement qu’on ne s’arrête pas au CV. Chez nous le recrutement est à double sens. D’ailleurs ma question principale en entretien, c’est : « qu’est-ce que tu cherches dans ta prochaine aventure professionnelle? De quoi tu as envie ? » Bien recruter, c’est arriver à construire un partenariat gagnant-gagnant avec tes employés pour que tout le monde soit content et qu’on aille ensemble beaucoup plus vite.

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Quels sont vos autres challenges pour 2019 ?

Notre objectif avec l’équipe, c’est de devenir l’acteur référent dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. À la fin de l’année, si l’on interroge quelqu’un dans la rue sur la question du gaspillage alimentaire, j’aimerais qu’il mentionne Too Good To Go en référence. Il faut donc agir sur tous les sujets : notre impact direct, car forcément plus on sauvera de repas de la poubelle, plus on aura de crédibilité et notre impact indirect pour faire évoluer les consciences vers une consommation plus responsable. Notre autre challenge est de convaincre plus de commerçants à nous rejoindre. Aujourd’hui on a 6 000 partenaires sur toute la France et notre objectif est de passer très vite à 100 000 commerçants pour sauver encore plus d’invendus et mieux satisfaire nos utilisateurs.

Notre objectif avec l’équipe, c’est de devenir l’acteur référent dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Et pour finir, qu’est-ce qui, selon toi, a fait le succès de Too Good To Go?

On a la chance d’avoir une idée ultra simple qui parle à tout le monde. La simplicité, c’est la clé.

Les conseils de Lucie pour aller plus loin sur le sujet de l’écologie :
L’appli #antigaspi à télécharger : Too Good Too Go
Le livre à lire : Ça commence par moi de Julien Vidal
Les projets à suivre : Il est encore temps et On est prêt
Les astuces de grand-mère à tester : le blog de Too Good Too Go

Photos par WTTJ

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