Art project & collection director : gérer la vie d'une collection d'art

02 avr. 2019

6min

Art project & collection director : gérer la vie d'une collection d'art

Amélie Blanchy est Art Project & Collection Director au sein de la Fondation Carmignac, un métier passion pour lequel il faut avoir des compétences variées. Tel un chef d’orchestre, elle doit assurer la vie d’une collection d’art, de l’acquisition à l’exposition.

Est-ce que tu te destinais à ce métier ?

À mon grand regret, je n’avais pas de métier passion. J’aurais rêvé en avoir un comme médecin, pompier ou peu importe… mais je n’avais pas vraiment de vocation. J’étais sensible à l’art mais je ne pensais pas pouvoir en faire mon métier : pour moi, il fallait être artiste et clairement, je n’étais pas douée pour ça ! J’ai donc choisi une fac de droit mais j’ai réalisé en 4ème année que les métiers d’avocate, de notaire ou d’huissier n’étaient pas pour moi. Toujours à la recherche d’un métier passion, je me suis spécialisée dans la fiscalité du marché de l’art en imaginant peut-être devenir commissaire priseur. J’ai poursuivi mes études de droit tout en étudiant la propriété intellectuelle et en suivant en parallèle des cours d’histoire de l’art. Mais j’ai finalement réalisé que je ne voulais pas être commissaire priseur. Ce qui me passionne, c’est l’art moderne et contemporain mais il y a peu de maisons de vente d’un niveau suffisamment intéressant dans ce domaine et clairement peu de femmes y tiennent le marteau.

J’étais sensible à l’art mais je ne pensais pas pouvoir en faire mon métier : pour moi, il fallait être artiste et clairement, je n’étais pas douée pour ça !

À quel moment as-tu réalisé que tu pouvais vraiment exercer un métier en rapport avec l’art ?

En fait, je ne connaissais pas tous ces métiers qui permettaient d’avoir un contact permanent avec l’art. J’ai décidé de poursuivre mes études et d’élargir mes compétences car j’étais très spécialisée. J’ai alors rejoint HEC qui proposait un Master vraiment passionnant lié aux métiers de l’art et de la culture. Ça a été une année très enrichissante pour moi. Ça m’a ouverte à plein d’autres métiers et j’ai effectué mon stage chez Paris Musées, la délégation de service public en charge de toute la production des expositions des musées de la ville de Paris. Suite à ce stage, ils m’ont embauchée. J’avais un BAC + 6, il était temps de me lancer dans la vie active !

Je ne connaissais pas tous ces métiers qui permettaient d’avoir un contact permanent avec l’art. J’ai alors rejoint HEC qui proposait un Master vraiment passionnant lié aux métiers de l’art et de la culture.

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Quelles étaient tes fonctions pour Paris Musées ?

J’avais en charge la production des expositions. C’était passionnant ! Je gérais les budgets, et comme c’était de l’argent public, ça a été très formateur puisque chaque centime doit être justement dépensé. On s’occupe aussi du transport des œuvres d’art, des assurances… On produisait aussi nos propres œuvres et ça, c’était vraiment ce qui m’intéressait le plus, ça rejoint un peu mon métier aujourd’hui. Mais j’étais en début de carrière, jeune, dynamique et assez ambitieuse donc après 4 ans, j’ai décidé de rejoindre le privé et j’ai décroché mon poste actuel à la Fondation Carmignac*.

Je gérais les budgets (des expositions ndlr), et comme c’était de l’argent public, ça a été très formateur puisque chaque centime doit être justement dépensé.

En quoi consiste le métier que tu exerces aujourd’hui ?

Après avoir été Art Project & Publication Coordinator, je suis passée Collection & Art Project Director.
Au départ, J’ai notamment géré un livre sur les 100 plus belles œuvres de la Collection. Aujourd’hui, je m’occupe de cette même collection.

D’abord je propose des œuvres pour l’enrichir. Je vais visiter des galeries, des musées, des foires, des ateliers d’artistes… Il faut être en permanence en prospection. La fondation décise d’acheter ou non les pièces que je propose.

Après on entre dans partie gestion de l’œuvre en elle-même : il y a toute la documentation sur l’œuvre, les assurances… mais aussi le transport, je travaille avec régisseur sur ce sujet. Il faut aussi décider dans quel bureau elle va être accrochée car il s’agit d’une fondation d’entreprise, la plupart d’entre elles sont dans les bureaux de la place Vendôme, mais aussi à Londres, au Luxembourg, à Madrid, à Miami… Mais certaines œuvres sont parfois demandées pour être prêtées à d’autres musées.

Ensuite, il y a la partie exposition. Chaque année, on en organise de nouvelles pour le site de la Villa Carmignac à Porquerolles*. On sélectionne des œuvres de la collection, on en emprunte d’autres à des musées, partout dans le monde, et on produit aussi certaines créations avec des artistes invités spécialement pour l’occasion. La Fondation invite un commissaire extérieur que je pré-sélectionne et que nous invitons à poser son regard personnel sur la collection. Puis, l’exposition dure 7 mois.

Finalement, il s’agit de gérer une collection, de la proposition à l’acquisition puis tout au long de la vie des œuvres.

Il s’agit de gérer une collection, de la proposition à l’acquisition puis tout au long de la vie des œuvres.

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Ton métier est très polyvalent en somme ?

Nous sommes une petite équipe, 10 personnes à Paris et 6 à Porquerolles, donc oui, mon rôle est très polyvalent. En interne, je travaille en étroite collaboration avec le directeur de la Fondation mais également le régisseur qui s’occupe de la partie technique et du transport des œuvres et un assistant qui m’aide beaucoup dans les recherches et les projets artistiques.

En externe, je travaille un peu avec tous les savoir-faire : architectes, scénographes, galeries, maisons de vente, commissaires priseurs, curateurs… et bien sûr, les artistes. C’est vraiment ce que je préfère dans mon métier, ce que je trouve le plus enrichissant. Il faut les aider à réaliser leurs œuvres. Je dois parfois trouver des couturiers, des miroitiers, des ferronniers, livrer les œuvres en hélicoptère… bref trouver des solutions !

Et puis pour chaque oeuvre de commande, il y a un contrat juridique, la vie de l’oeuvre s’organise autour, il faut tout prévoir en amont, ne rien oublier, que ce soit pour l’artiste ou pour la fondation. On a chacun des avocats, et parfois ça peut être des négociations très tendues avec le risque que tout capote, donc il faut négocier au mieux pour nos intérêts, tout en avançant au mieux pour tous.

Je travaille un peu avec tous les savoir-faire : architectes, scénographes, galeries, maisons de vente, commissaires priseurs, curateurs… et bien sûr, les artistes.

Qu’est-ce que tu apprécies particulièrement dans ton métier ?

Être en contact avec les artistes, échanger avec eux, les accompagner dans leurs projets ! Ils ont une sensibilité, une vision du monde intéressante… Elle peut être très différente d’un artiste à l’autre, c’est ce qui est enrichissant je trouve. Et puis, j’ai la satisfaction de voir les choses se concrétiser : parfois une merveille, qui n’existait pas quelques mois ou quelques années auparavant, voit le jour… Accompagner l’artiste dans ce processus, être à la naissance d’une œuvre, au coeur de la création, c’est vraiment passionnant.

Les artistes ont une sensibilité, une vision du monde intéressante… Elle peut être très différente d’un artiste à l’autre, c’est ce qui est enrichissant je trouve.

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Y a t-il un projet dont tu es particulièrement fière ?

Dans une salle du musée, il y a une toile monumentale qu’on a commandé à l’artiste Miquel Barcelo. Elle fait 15 mètres de long et elle est arrondie pour épouser parfaitement la forme de la salle. Il y a eu un travail énorme de négociation en amont avec la galerie et les avocats. Ça a été très long, c’est un projet qui a duré trois ans. J’ai vu tout le parcours de la toile, au sol de l’atelier de l’artiste à son installation au musée. Pour la rentrer à son emplacement final, il a fallu la transporter sur rouleau, la mettre à plat, la soulever, la plier… Elle est passée au millimètre près mais c’était une expérience dingue, il fallait que tout soit parfaitement anticipé pour que ça fonctionne. C’est très émouvant de la voir terminée dans cette très belle salle voûtée, on est en immersion totale dans des fonds marins peints par l’artiste. Je la compare aux Nymphéas de Monet à l’Orangerie.

Le plus compliqué dans ce métier ?

Composer avec l’égo de chacun.

Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce métier ?

Il faut avoir une sensibilité artistique, s’intéresser à l’Histoire de l’art, se former sur ces questions.
Il y a également un côté business. Pour les acquisitions d’œuvres, comme pour les budgets, il faut savoir négocier.
Enfin, on passe des contrats avec les artistes, la partie juridique est importante. Certaines œuvres valent plusieurs millions, de grosses sommes sont en jeu, il faut savoir le gérer.
Concernant les qualités humaines, je dirais qu’il faut être passionné bien sûr, posséder une belle ouverture d’esprit, savoir anticiper et s’adapter, être réactif, flexible et diplomate, rigoureux également. Et puis, il faut être prêt à se faire surprendre et accepter d’être un peu bousculé dans ses acquis, mais c’est ça qui est intéressant et palpitant.

Il faut avoir une sensibilité artistique, s’intéresser à l’Histoire de l’art (…) Il y a également un côté business. Pour les acquisitions d’œuvres, comme pour les budgets, il faut savoir négocier.

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Quel conseil donnerais-tu à ceux qui veulent exercer un métier en rapport avec l’art ?

Avant de choisir un métier dans ce domaine, je pense qu’il est vraiment important d’effectuer plusieurs stages, que ce soit en galerie, en maison de vente ou dans un musée. En immersion, on apprend beaucoup et cela permet de réaliser ce qui nous plaît vraiment et ce qui ne nous plaît pas ! Il faut aussi savoir oser et ne pas avoir peur de se tromper.

Il est vraiment important d’effectuer plusieurs stages, que ce soit en galerie, en maison de vente ou dans un musée. En immersion, on apprend beaucoup.

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Photos by WTTJ