Le syndrome du "people pleasing" ou l’incapacité à s’affirmer au travail

04 févr. 2019

6min

Le syndrome du "people pleasing" ou l’incapacité à s’affirmer au travail
auteur.e
Elsa Andron

Psychologue du travail et psychologue clinicienne

Le people pleasing ou le manque d’affirmation de soi est un mal encore très répandu aux sein des entreprises. En effet, la difficulté à dire “non” ou à exprimer ses limites dans le cadre professionnel peut se révéler particulièrement difficile pour certaines personnes. Les raisons peuvent être diverses : peur d’être jugé négativement par sa hiérarchie ou ses collègues ou encore volonté de (trop) bien faire. La bonne nouvelle c’est que l’affirmation de soi se travaille et que les bénéfices qui en découlent sont conséquents pour la liberté individuelle et le bien être au bureau.

Mais c’est quoi le “people pleasing” ?

L’affirmation de soi est une notion bien connue en psychologie qui découle directement de l’opinion globale qu’une personne a d’elle même (estime de soi) et de la confiance qu’elle a en ses capacités et ses ressources (confiance en soi). Les personnes ayant une estime d’elle-même basse et une confiance en leurs capacités fragilisée, auront de grandes difficultés à s’affirmer face aux autres. Notre éducation et les expériences passées, parfois douloureuses, ont un impact important sur la construction narcissique du sujet et donc sur ces différents aspects. De plus, la difficulté à s’affirmer peut également venir de nos croyances (comme “dire non c’est être méchant”) ou de nos peurs (peur du conflit ou peur d’être mal perçu).

L’affirmation de soi est donc la capacité à exprimer notamment des choses connotées négativement telle que : son désaccord ou sa critique, son incapacité à faire telle ou telle chose ou tout simplement à dire “non”. La notion anglophone de “people pleasing” (littéralement “faire plaisir aux autres”) nous permet de pointer ce qui soutient ce fonctionnement au delà d’une estime de soi basse. En effet, les personnes qui ont des difficultés à s’affirmer veulent souvent “plaire à tout prix” aux autres. Il devient alors impossible d’aller contre le désir de l’autre, même si celui-ci est au détriment du sien. Les “people pleaser” ont donc une grande difficulté à ne pas être “aimé” ou tout du moins apprécié par autrui. Le jugement négatif de l’autre est alors reçu comme une blessure douloureuse pour le narcissisme déjà fragilisé de la personne. Le manque d’affirmation de soi peut toucher une ou plusieurs sphères de la vie. En effet, les personnes peuvent avoir une difficulté à s’affirmer auprès de leurs proches (conséquences dans la vie personnelle) ou dans leur vie professionnelle (volonté de trop bien faire en tout temps et de satisfaire chacun).

Suis-je un people pleaser ?

Symptômes du manque d’affirmation de soi :

  • Grande difficulté à dire “non” : si un people pleaser réussit à dire non c’est souvent car il ne peut pas réellement accéder à la demande de l’autre et non qu’il ne le veut pas. Dans ces cas là, il ajoute de nombreuses justifications et excuses à son refus et peut ressentir une vive culpabilité à ne pouvoir répondre positivement à la demande qui lui est faite.

  • Dire “oui” sans réfléchir : une des caractéristiques des people pleasers est l’impulsivité à répondre positivement à toutes demandes sans prendre le temps de réfléchir à sa propre envie. Dans le cadre professionnel, ces personnes répondent “oui” à toutes les requêtes même lorsqu’il s’agit de travailler plus, de ne pas prendre un jour de récupération ou de remplacer un collègue.

  • Devancer les désirs de l’autre : bien souvent, afin d’être appréciées et valorisées ces personnes sont enclines à devancer les besoins et désirs des autres. Elles ont tendance à “trop en faire”. Par exemple proposer systématiquement de prêter main forte sur les dossiers des collègues alors que l’on est soi-même déjà surbooké.

  • Grande difficulté à émettre une critique ou à être en désaccord : pour de tels profils, être ouvertement en désaccord ou émettre une critique à quelqu’un est très difficile voire impossible. Ces personnes remettent presque systématiquement en cause leurs opinions du fait de leur basse confiance en eux. Ces personnes expriment rarement une opinion tranchée d’elles mêmes et ne disent rien en cas de désaccord sur un dossier par exemple. Elles souffrent en général de la position où elles se trouvent qui créé souvent beaucoup de frustration.

  • Difficulté à accepter les compliments et à entendre la critique : outre leur difficulté à dire “non” aux demandes, les personnes ayant de la difficulté à s’affirmer ont de l’embarras avec les compliments que peuvent leur faire leur entourage. Bien souvent, le compliment ne sera pas pris pour un jugement positif sur eux. Il sera davantage perçu comme une volonté d’autrui de leur faire plaisir, donc parfois sera interprété comme peu sincère. À l’inverse, la critique sera elle prise comme véridique et sera souvent reçu comme douloureuse. Ces personnes sont fréquemment décrites comme “susceptibles” par leur entourage. Ce sont ces collègues qui n’entendent pas quand vous leur faites un compliment sincère sur une de leur compétence (geste de dénégation de la tête, haussement d’épaules, lève les yeux au ciel, sourire gêné) ou ceux qui prennent ombrage de la moindre remarque.

Conséquences

Les conséquences sont souvent coûteuses pour les personnes qui ont des difficultés à s’affirmer.

À court terme :

  • Sentiment de frustration et d’injustice : l’incapacité à s’affirmer peut engendrer du stress mais aussi un fort sentiment de frustration (“on m’utilise”) et d’injustice (“C’est toujours moi qui m’occupe de ça, on ne demande jamais à untel”).

À long terme :

  • Baisse de l’estime de soi et de la confiance en soi : bien entendu une des premières conséquences concerne l’estime de soi c’est à dire l’opinion qu’à la personne sur elle même. En effet, à force de se plier constamment aux demandes et exigences de l’autre au détriment de son propre besoin, on se remet en question et on abîme son estime de soi. Il n’est pas rare que le manque d’affirmation de soi entraîne une comparaison aux autres toujours négative. L’autre est alors perçu comme toujours plus compétent, plus charismatique que soi.

  • Risque d’épuisement professionnel : les personnes ayant des difficultés à s’affirmer dans leur environnement professionnel sont plus à risque de développer un épuisement professionnel (aussi appelé burn-out). Ce risque est important car bien souvent la demande et les exigences de l’environnement professionnel n’ont pas de fin si nous n’exprimons pas nos limites.

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People pleasing ou gentillesse ?

Tout accepter de l’autre n’est pas être gentil et dire “non” ne signifie pas que l’on soit méchant. Cette notion est souvent difficile pour les personnes ayant du mal à s’affirmer. Le fait que l’on ne puisse pas plaire à tout le monde est quelque chose de pénible pour eux, ils souhaiteraient pouvoir “être tout” pour l’autre. Ils estiment d’ailleurs que si on ne les apprécie pas c’est uniquement de leur fait et qu’ils ont déçu ou échoué à satisfaire l’autre. Travailler donc sur cette différence entre gentillesse et égoïsme sain est importante. S’affirmer n’est pas être dominant ou être violent. Il s’agit simplement de ne pas s’oublier dans nos relations et nos réponses aux autres. L’affirmation de soi au travail permet aux autres de mieux comprendre vos limites et ce qu’il est possible ou non de vous demander rendant ainsi les relations professionnelles plus claires et productives. Par exemple, exprimer clairement qu’après votre départ du bureau vos collègues ou supérieurs ne peuvent plus vous joindre pour empiéter sur votre vie personnelle leur permet de s’organiser afin d’anticiper ou de remettre au lendemain les éventuelles demandes qu’ils auraient à vous faire. Ainsi, les choses sont clairement définies et cela limite le risque d’interprétation de votre comportement de leur part.

4 conseils pour s’affirmer au travail :

1. Différer sa réponse

Prendre le temps avant de donner sa réponse est un bon moyen pour accéder petit à petit à la capacité de savoir dire “non” de façon claire et ferme. Différer sa réponse c’est par exemple dire que l’on répondra à l’invitation à telle réunion lorsque l’on aura pris le temps de vérifier son planning. Cela permet de prendre le temps de se demander si on a réellement envie ou le temps de faire telle ou telle chose. Permettant ainsi petit à petit de s’autoriser à ne pas accéder à toutes les demandes de notre environnement professionnel. On peut également proposer d’autres alternatives telles que une autre date, qui nous conviendrait mieux.

2. Commencer petit

Pour arriver à dire “non” il vaut mieux commencer par refuser ce qui nous paraît avoir moins d’enjeu. C’est notamment commencer par dire à ce collègue qui vous demande “un petit coup de main” (toutes les semaines), qu’on ne sera pas disponible pour lui prêter main forte.

3. Refuser sans se justifier ou s’excuser

Opposer un refus sans se justifier ou s’excuser coupe l’herbe sous le pied de son interlocuteur. En effet, si l’on s’excuse ou si l’on se justifie, notre interlocuteur perçoit notre culpabilité et peut alors l’instrumentaliser pour que l’on finisse par accéder à sa demande. On évite alors les « je suis vraiment désolé mais…» ou « je ne pourrais pas car je suis déjà en rendez-vous client et aussi… » Le plus simple est alors le meilleur. Restez factuel : vous n’êtes pas disponible. Si on trouve cela vraiment délicat on peut proposer des alternatives qui nous sont plus confortables.

4. Tenir bon

Bien souvent lorsque l’on commence à s’affirmer notre entourage ne comprend pas pourquoi ce qu’il était encore possible de nous demander il y a encore quelques temps n’est plus possible aujourd’hui. Définir ses limites et les défendre peut être perçu comme une dépense d’énergie plus coûteuse que de dire “oui” tout de suite. Cela est peut-être vrai à court terme mais on s’y retrouve sur le long terme car on apprend ainsi à écouter ses besoins et à les respecter. En tenant bon, on demande alors aux autres de les respecter également.

Le syndrome du people pleasing ou encore le manque d’affirmation de soi au travail a des conséquences délétères sur le bien-être psychologique des personnes qui en souffrent. La bonne nouvelle c’est que l’on peut apprendre à tout âge à écouter et à respecter ses besoins et désirs. S’affirmer n’est donc pas marcher sur les pieds de son interlocuteur, ou verser dans l’égocentrisme mais bien exprimer ce que l’on n’accepte pas, sans violence ni dominance.

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Photo by WTTJ