Comment le travail en France est-il perçu par les étrangers ?

23 juin 2020

5min

Comment le travail en France est-il perçu par les étrangers ?
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Ah la France, pays fantasmé par de nombreux étrangers, vu comme un symbole du romantisme, de la gastronomie et de l’art ! Mais pas que ! Les clichés négatifs dont hérite la France concernant son organisation du travail sont nombreux à l’étranger. Pour les résumer : « Les français sont des fainéants, ils ne travaillent que 35h par semaine, sont tout le temps en vacances ou en grève et trouvent encore le moyen de se plaindre ». Pourtant, pas de quoi vraiment se formaliser puisque nous faisons partie des travailleurs les plus productifs du monde. Avant de se jeter des fleurs, voyons quand même ce que pensent réellement les étrangers ayant eu une expérience de travail en France et qui ont plus de recul que nous !

L’organisation du travail en France : vieux jeu ?

Rapport à la hiérarchie

Si on a tendance à proner de plus en plus un management souple et une hiérarchie horizontale, en France, beaucoup d’entreprises restent très hiérarchisées. C’est ce qu’a constaté Chadia, franco-libanaise, au cours de ses premières expériences dans des entreprises françaises : « Le manque de confiance des supérieurs en leurs collaborateurs était flagrant. Dans la majorité des cas, on part du principe que le salarié fait tout pour glander. C’est assez malsain. J’ai découvert qu’en France, il fallait accepter d’être infantilisé et de se montrer discipliné. »

Même son de cloche chez Lenor, une dublinoise qui, après avoir travaillé dans une grosse boîte américaine en Irlande a été embauchée dans une entreprise à Lille. Elle explique sa surprise lors de sa première réunion d’équipe en présence du directeur de la boîte : « Un de mes collègues était en plein milieu d’une présentation et le directeur, visiblement exaspéré et mécontent, lui a coupé la parole devant tout le monde en faisant comprendre que ses idées n’étaient pas bonnes. C’était tellement gênant, difficile de repartir motivé après un tel manque d’écoute ! »

Riad, Consultant en stratégie digitale marocain n’est pas forcément du même avis. Il a effectué des stages en France pendant ses études : « Le rapport à la hiérarchie dans les deux entreprises où j’ai travaillé était hyper fluide. On nous demandait d’apporter notre vision des choses et de l’argumenter. Si nos idées tenaient la route, c’est notre vision qui l’emportait, pas celle du chef. »

Présentéisme, réunionite et efficacité

Autre élément qui ressort des témoignages : le présentéisme. À l’heure où l’on parle de plus en plus de télétravail, de freelancing, apparemment certaines boîtes françaises continuent de penser que si on n’est pas là, on ne travaille pas et si on n’est pas là tard, on ne travaille pas assez. D’ailleurs, en 2019, une étude Glassdoor nous apprenait qu’un Français sur trois n’osait pas quitter le bureau avant 18h et un sur quatre admettait être déjà resté plus longtemps pour être bien perçu par la hiérarchie. Lenor a rapidement vu la différence avec son expérience à Dublin : « Dans mon précédent job, l’organisation était moderne, je pouvais décider au dernier moment de gérer mon travail depuis chez moi et on ne regardait pas mes horaires tant que mes objectifs étaient atteints. Ici, en France, le directeur de la boîte passe son temps à traquer les salariés qui quittent le travail un peu trop tôt à son goût, notamment pour aller chercher leurs enfants à l’école, même si le travail est fait. »

Conséquence directe, Chadia a été surprise de constater l’inefficacité de beaucoup de personnes, la lenteur des prises de décision et l’inaction générale. Elle parle de “réunionite extrême” ! « Mais qu’est-ce que c’est que ces réunions qui durent 2heures ? C’est le BA-ba du business, elles ne devraient durer qu’une heure max. Les gens passent plus de temps à parler de ce qu’il faudrait faire qu’à le faire, c’est hallucinant ! »

La France, écosystème des acquis sociaux et des coutumes

La fameuse pause déj

La France est connue pour avoir gagné deux coupes du monde au football, mais pas que ! Les Français sont aussi champions de la pause déjeuner ! Nous lui conscrerions plus de temps que de nombreux pays culturellement proches de nous (Allemagne, États-Unis, Royaume Uni, etc.) Là encore, les avis divergent quant à cette tradition. Chadia ne comprend pas la longueur de ces déjeuners. Lenor non plus, elle dit parfois s’ennuyer et finit donc souvent par retourner travailler. Au contraire, Matthew, un cameraman australien qui travaille toute l’année dans plusieurs pays différents, raconte : « Même si mon employeur est américain, quand nous avons un événement sur le sol français, il doit respecter le droit du travail français. Je sais que je suis en France quand je vois les gens s’attabler pour déjeuner, prendre le temps alors que l’on est sous l’eau. Dans les autres pays, il est très rare que je puisse m’accorder une pause le midi, chez vous c’est sacré, c’est comme une bulle, personne n’y déroge et il n’y a qu’en France que l’on voit des bouteilles de vin sur la table du déjeuner, j’adore ! »

35h, heures supp’, congés

Aussi, notre contrat de travail sur la base des 35h est connu du monde entier, même si bien souvent, les étrangers en ignorent les détails et subtilités. Comme pour la pause déj, Matthew explique : « Quand je travaille aux Etats-Unis, en Australie ou en Grande-Bretagne, mon tarif journalier est fixe, et il m’arrive de faire plus de 15h par jour sans pause. En France, mon employeur est obligé d’appliquer votre législation des heures supplémentaires, du coup mes journées sont plus rarement à rallonge, et si c’est le cas, ma rémunération augmente. C’est un bonheur ! Depuis mes expériences en France, j’essaye davantage de faire valoir mes droits ailleurs aussi. »

Samantha Rose est canadienne et elle a travaillé en France il y a quelques années comme Assistante de langue étrangère dans un lycée professionnel. Elle témoigne avec humour de cette expérience : « Ce qui m’a le plus marquée, c’est votre rapport aux vacances, j’ai l’impression qu’il y en avait toutes les trois semaines, ce qui ne m’a pas déplu ! Et votre enthousiasme à faire le pont le plus souvent possible m’a amusée. » Pour continuer sur les différences culturelles, Sae Hiko vient du Japon, là où les congés se comptent en jours et que la plupart des employés n’osent pas prendre par culpabilité. « Au Japon, je n’avais jamais fait l’expérience de partir en vacances, de déconnecter pour revenir plus en forme et motivée. Je pense que ça contribue à être plus productif et les vacances ou les RTT fonctionnent comme des carottes, c’est important pour tenir le coup toute l’année. Je pense que la France est vraiment en avance pour tout cela. Même lorsque j’ai un impératif ou un rendez-vous personnel, je peux demander à aménager mes horaires exceptionnellement. Ce serait inenvisageable au Japon. »

L’intégration : la bise & l’apéro

Si chaque entreprise est différente et chaque cas particulier, beaucoup d’étrangers racontent leur perplexité face à certaines coutumes françaises ou règles implicites qu’ils ont dû adopter pour s’intégrer. La numéro 1 ? La mystérieuse bise française. Samantha nous dit : « Au début, j’ai trouvé le rituel de la bise surprenant. Je travaillais dans un environnement scolaire et je trouvais bizarre de faire la bise à mes collègues dans une situation professionnelle. Ce que j’ai encore moins compris c’est pourquoi les hommes faisaient la bise aux femmes mais se serraient la main entre eux… »

Même constat pour Lenor, qui a commencé à créer du lien avec ses collègues qu’une fois intégré le rituel du matin : « Quand j’ai commencé en France, je trouvais mes collègues froids les premières semaines, j’avais du mal à nouer le contact. Un jour, une salariée m’a dit en blaguant que je ne lui disais jamais bonjour le matin quand j’arrivais, alors que je le disais bien à tout le monde oralement ! J’ai donc commencé à faire la bise à tout le monde le matin et le soir en partant, ça prend un temps fou, mais c’est vrai que ça rapproche aussi, j’ai vu le changement. » Riad, lui, considère qu’il n’y pas spécialement de règles à suivre pour s’intégrer correctement dans une entreprise française, si ce n’est d’être un fervent adepte de l’apéro, qu’il qualifie de « sport national » !

Chaque pays a ses spécificités culturelles et organisationnelles au travail. La France semble à la fois forte de ses acquis sociaux mais aussi parfois encore figée dans le temps. Il est difficile d’avoir du recul sur soi-mêmes lorsque l’on n’a pas d’autres expériences en dehors de son pays. C’est pour cela que les témoignages et anecdotes de ces travailleurs de nationalités étrangères sont un éclairage intéressant sur la réalité du monde du travail en France, et peuvent nous encourager à aller voir ailleurs aussi !

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Photo by WTTJ