Retour de congé formation : « Mon absence suscitait de la jalousie chez mes collègues

21 nov 2023

7 min

Retour de congé formation : « Mon absence suscitait de la jalousie chez mes collègues
autor
Barbara Azais

Journaliste freelance

colaborador

Jalousie, trahison, concurrence… Le retour en entreprise après une longue formation peut s’avérer difficile et devenir une vraie source de souffrance. Un problème dont, généralement, salarié·es, managers et RH se partagent la responsabilité. Explications.

« Ah ça y est, tu as retrouvé le chemin du bureau ? », « c’était bien ton année de vacances ? » Des réflexions de ce genre, Gaétane, 41 ans, en a reçu un paquet lorsqu’elle a repris le travail après son année de formation. « À un moment donné, j’avais besoin de renouveau, raconte la journaliste. J’ai donc fait un bilan de compétence et décidé de me former en décoration d’intérieur. J’avais envie de renouer avec ma fibre artistique. » Elle a suivi une formation intense et validé les acquis de deux années en une seule, avant de reprendre le chemin du bureau, plus motivée que jamais. « J’étais enthousiaste, riche de nouvelles perspectives et connaissances dont j’aurais pu faire bénéficier mon entreprise même si le domaine était différent ». Mais le retour a été glacial. Certain·es étaient surpris·es de la revoir et la plupart ne semblaient pas s’intéresser à son expérience. « *Certain·es managers ne me disaient même plus bonjour. J’ai mis du temps à comprendre que mon absence avait été, soit perçue comme une trahison, soit suscitait de la jalousie chez mes collègues.* »

Le projet de transition professionnelle (PTP), plus communément appelé « congé formation », est né de la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Concrètement, il permet de s’absenter de son entreprise pour suivre une formation tout en conservant son salaire. Soit pour se reconvertir et changer de profession, soit pour simplement évoluer et obtenir de nouvelles compétences. Environ 60 000 parcours de transition professionnelle sont financés chaque année en France. Et la majorité sont initiés en milieu de carrière. « Sur une carrière professionnelle d’environ 42 ans, le changement de vie professionnelle survient généralement à mi-parcours, confirme l’Observatoire des transitions professionnelles (OTP). En moyenne, 21 ans se sont écoulés entre le moment où le bénéficiaire a débuté sa vie active et son entrée en formation dans le but de se reconvertir ». Dans 40% des cas, les bénéficiaires ont en effet entre 35 et 44 ans. Seuls 10% d’entre eux ont plus de 50 ans.

Qui dit « formation », ne dit pas forcément « démission »

Sur le papier, le PTP fait rêver. Mais la réalité en entreprise est parfois toute autre : « Les gens pensent qu’on part en formation aux frais de la princesse pour ne rien faire, s’indigne Gaétane. Ils partent aussi du principe que l’on va quitter l’entreprise quand la formation n’est pas en lien avec notre activité, alors que ce n’est pas toujours le cas. Cela peut être un enrichissement personnel et un complément de compétences professionnelles. »

Le gouvernement précise en effet que « la formation demandée n’a pas besoin d’être en rapport avec l’activité du salarié » et que « tout salarié peut demander à en bénéficier ». Ainsi, 48% des personnes qui s’engagent dans une formation longue le font parce qu’elles sont « face à une situation compliquée dans leur poste », comme un manque de qualifications pour évoluer (source : Transitions pro Ile-de-France). De même que 31% d’entre elles franchissent le cap pour trouver un complément de revenus, 13% pour créer une entreprise et 12% pour faire face à un problème de santé (dépression, burn out, etc.).

« Même dans le cas d’une reconversion, la plupart des salarié·es ne quittent pas leur poste tout de suite après la formation, observe Vanessa Rouillon, psychologue du travail et directrice chez ADC Ressources Humaines. Il y a plus de personnes qui créent une activité en parallèle de leur job. Parfois, la formation fait partie d’un projet à long terme qui met du temps. »

C’était notamment le cas pour Katherine, 41 ans, qui a passé un CAP pâtisserie alors qu’elle travaillait pour une chaîne météo. « Je me suis spécialisée dans le culinaire après cette expérience, explique-t-elle. Mais il m’a fallu du temps. Il y a un fantasme autour de la formation à des fins de reconversion. Certain·es pensent que l’on va commencer une nouvelle vie tout de suite. Mais c’est un long chemin introspectif durant lequel on s’interroge sur ce que l’on veut faire et pourquoi. Il m’a fallu six mois pour franchir le cap. Ça peut paraître court, mais quand on le vit, six mois, c’est long. La reconversion n’est pas qu’un parcours joyeux et linéaire. »

Jalousie, envie et trahison au travail, un cocktail explosif

Si le retour en entreprise est à ce point délicat, c’est aussi parce qu’il suscite parfois de la jalousie, de l’envie et un sentiment de trahison au sein des équipes. « Le fait de s’absenter pour suivre une formation longue et revenir n’est clairement pas encore bien intégré, explique Vanessa Rouillon. Ça semble aussi lié à la notion d’engagement à l’entreprise. Ça peut être vécu comme une forme d’abandon : “il ou elle nous lâche pour construire son projet”. » L’absence de l’entreprise pour une formation peut donc être perçue comme une trahison ou un coup bas fait à l’équipe.

« Lorsque les salarié·es sont absent·es longtemps, leurs postes peuvent aussi être convoités. Ça crée des rivalités et des tensions entre collègues. » Surtout chez celles et ceux qui ont assuré le remplacement et qui doivent désormais quitter l’entreprise (fin de CDD), ou revenir à un poste inférieur. Certaines personnes peuvent aussi envier leur collègue parti en formation, considérant qu’il ou elle a bénéficié d’un privilège. « Je sentais de l’envie due au fait que j’avais eu le courage de faire quelque chose que certain·es n’osaient pas accomplir, raconte Gaétane. Notamment par peur du regard de notre employeur. »

De nombreuses études en psychologie sociale ont démontré une corrélation entre l’envie au travail et des « comportements destructeurs et contraires à l’éthique », tels que l’affaiblissement social, une supervision abusive, la rétention d’informations ou encore, une diminution de l’aide apportée aux personnes enviées. De même, la jalousie au travail (à bien différencier de l’envie) occasionne parfois une forme de harcèlement moral entre pairs. On parle ici de rejets, d’ignorances ou encore de violences verbales (sous-entendus, piques, humiliations, etc). Paradoxalement, la personne jalousée et maltraitée peut finir par douter d’elle-même, se remettre en question et perdre en estime de soi.

Quels que soient les sentiments négatifs ressentis en interne, cela engendre naturellement des tensions, des conflits, de la souffrance et nuit à la qualité de vie au travail. Ce type de climat peut même gangrener tout un service et impacter les résultats de l’entreprise. Alors, comment expliquer que de telles situations se produisent ? Et surtout, comment l’éviter ?

La responsabilité partagée des salarié·es, managers et RH

Les raisons sont multifactorielles et la responsabilité revient plus ou moins à tous les protagonistes (selon le contexte). « Les salarié·es doivent anticiper et parler de leur projet à leur manager, détaille la spécialiste. Ça va dans les deux sens. Or, il arrive qu’ils et elles le construisent de façon isolée et n’informent que les RH parce que c’est obligatoire. » Les managers peuvent donc être pris au dépourvu. Alors que leur rôle serait normalement de préparer le départ et le retour des salarié.es, en informant le reste de l’équipe et en veillant à ce que le climat reste bienveillant et positif, les managers se retrouvent parfois pris de cours. « Certain·es ont peu, voire pas du tout de connaissance du projet et ne savent pas ce que cela va apporter à la personne ou à l’entreprise. »

Bien sûr, « il y a aussi les mauvais comportements managériaux. Certains managers pensent seulement aux contraintes organisationnelles occasionnées par le départ de leur salarié·e et à la façon dont ça va les impacter. Ils ou elles peuvent donc adopter une posture froide, distante et punitive. On le constate aussi ». Mais la plupart du temps, c’est dû à un manque de sensibilisation et de formation, estime la spécialiste. « Notamment lorsque la direction générale a, elle-même, une approche purement organisationnelle. La culture d’entreprise et la politique RH jouent énormément : quand les RH communiquent sur la façon positive de mener cette transition, les managers peuvent plus facilement s’approprier leur discours ». Or les RH, qui ont souvent une vision plus constructive de la formation professionnelle, ne communiquent pas forcément avec les managers sur ses bienfaits.

Les entreprises doivent être visionnaires et réfléchir à ce que les nouvelles compétences de leurs salarié·es peuvent leur apporter. « Même lorsque la formation est éloignée de l’activité principale de l’entreprise, elle peut être une richesse. Les salarié·es formé·es peuvent mettre leurs nouvelles compétences à profit en interne. Par exemple en tant que prestataire, en plus de leur activité, etc. ». C’est ce que Gaétane, diplômée en décoration d’intérieur, a tenté de faire lorsque son entreprise a changé de locaux. « J’ai proposé mon expertise pour aménager et décorer l’espace. Un collègue l’a aussi suggéré à mes supérieurs. Mais ils nous ont ignorés ».

Il y a un « avant » et un « après » la formation

Gislaine, 50 ans, assistante de direction, a également subi un retour au travail maltraitant après une longue formation. Pour elle, les entreprises ne prennent pas en compte que les salarié·es ne sont plus les mêmes avant et après une telle expérience. « Quand on exprime notre ras-le-bol et que l’on franchit le cap de partir en formation longue, on change notre trajectoire identitaire. C’est-à-dire que l’on se libère de ce que l’on faisait avant, en acquérant de nouvelles connaissances et compétences. On prend un autre chemin, on évolue. Donc on se retrouve en décalage avec le poste que l’on occupait. Il faut l’aménager en fonction du savoir et de l’expertise dont on dispose désormais, sinon ça ne passe pas. »

C’est-à-dire, soit monter en grade, soit se voir confier de nouvelles responsabilités, de nouveaux dossiers, etc. Les entreprises ne prennent pas en compte que la psychologie et les attentes d’une personne qui vient de se former ont changé. « L’organisation du travail en France n’est pas pensée en chemin de carrière, mais en poste. On a beau faire des bilans de compétences et se former, en réalité, c’est encore figé. » Vanessa Rouillon encourage aussi les entreprises à lâcher du lest : « Il faut accepter de laisser partir les gens. On ne peut pas les forcer à rester. D’ailleurs les laisser se former est un avantage qui peut les fidéliser. »

En conclusion, il est dans l’intérêt des entreprises d’accueillir positivement les formations longues de leurs salarié.es. La direction et les RH doivent insuffler les bons réflexes aux managers afin qu’ils et elles soient en mesure de bien préparer le départ et le retour de leurs employé.es. De leur côté, ces dernier.es doivent inclure leurs managers en leur parlant de leur projet et de leurs attentes. Enfin, très important « il est conseillé de ne pas rompre les liens avec son entreprise et/ou son service durant la formation », ajoute la spécialiste. C’est encore la meilleure façon de préserver ses relations avec ses collègues et de se tenir au courant des avancées de l’entreprise pour ne pas être totalement perdu·e à son retour.

Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps

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